bistouille n. f.
〈Nord, Pas-de-Calais, Somme, Oise.〉
1. usuel "café arrosé d’eau-de-vie (de genièvre) ou d’un autre alcool". Synon. région. café* coiffé / consolé.
1. […] elle savoure sa bistouille, généreusement arrosée de genièvre, et broie le morceau de sucre entre ses vieilles
gencives […]. (G. Bernanos, Monsieur Ouine, 1961 [1943], 1530.)
2. […] une énorme bistouille, suivie d’une copieuse rincette […]. (Cl. Julien, Chronique villageoise, Labourse-sur-Loisne-en-Artois, 1980, 133.)
3. Bon appétit et, à la fin du repas, n’oubliez pas un bon café, voire une bonne « bistouille ». (M. Demarquette, Introduction à J.-C. Liégeois et D. Verraest, Recueil de la Gastronomie des Flandres et d’Artois, 1984, 2.)
4. Au « Café », les gens buvaient de la bière et la « Bistouille », du café dans lequel nous mettions du cognac ou du genièvre […]. (M. Teneur Van-Daele,
Au temps des artisans, 1989, 71.)
5. Les vieux mineurs retraités […] manquaient de tout [pendant la guerre 1914-18], de
leur tabac, de leur bistouille [en note : café arrosé de rhum], mais ils cherchaient à se rendre utiles […]. (A. Viseux,
Mineur de fond, 1991, 58.)
6. La cuisine de Philippe Venet [restaurateur à Aire-sur-la-Lys, Pas-de-Calais] donne
du relief aux légumes du marais, redore le blason de la bière du pays, invite la volaille
de Licques à la table des grands et hisse la « bistouille » au premier rang de la carte des cafés. (La Voix du Nord, Supplément Dimanche découvertes, 25-26 octobre 1998, 18.)
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident.
7. Le café est ici [dans le Nord] l’affaire des femmes. Café longtemps et souvent mêlé
de chicorée, adouci souvent de lait ou de crème. / La cafetière ne quitte pas le coin
du fourneau mais si les hommes en prennent, ils l’arrosent d’eau-de-vie, c’est « la bistouille ». (Marie-France, décembre 1987, 114.)
8. Un à un, les bistrots [à Waziers, Nord], face à l’entrée des carreaux, où l’on allait
vider une dernière bistouille, un mélange de genièvre et de café, avant de descendre au fond, s’éteignent comme
des quinquets. (R. Guyotat, « Plus de mines, plus de corons », Le Monde, 7 décembre 1991, 21.)
— faire la bistouille loc. verb. "arroser son café d’alcool (notamment d’eau-de-vie de genièvre)". Synon. région. faire son café*.
9. Mon père était déjà prêt depuis longtemps et nous nous retrouvâmes devant la table
de la cuisine, lui, prenant une tasse de café fumant, dans lequel il avait l’habitude
de vider un petit verre de genièvre, pour faire la traditionnelle « bistouille », et moi prenant un bol de café au lait. (R.-H. Desbordes, Mineur à Bruay-en-Artois, 1982, 45-46.)
— En appos. café-bistouille.
10. Dans le café, tout autour, quelques rares consommateurs s’envoient du genièvre, qu’ils
appellent g’nièf, et des jattes* de jus. Quand on verse le g’nièf dans le jus, ça s’appelle du café-bistouille. (Marie & Joseph, Le Petit roi de Chimérie, 1988, 115.)
— Dans le syntagme bistouille tricolore. Synon région. café* tricolore.
11. Un café est servi dans un verre, une gorgée prise, on comble la différence avec de
l’eau-de-vie, une deuxième gorgée est remplacée par du rhum, parfois une troisième
rasade d’alcool est ajoutée, ce qui donne la bistouille tricolore. (Fr. Beaudoin, Le Bateau de Berck, Paris, Musée de l’Homme, Mémoires de l’Institut d’ethnologie, 1970, 117, au lexique,
s.v. bistouille.)
2. Par méton. moins usuel "eau-de-vie de genièvre ; rhum".
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident.
12. […] l’on accompagne [dans le Nord] dès le matin son café d’un verre de bistouille, alcool blanc plus communément appelé genièvre… (Ma Cuisine, n° 4, mars 1977, 86.)
13. Il y avait aussi le tafia, le rhum, que nous appelions encore « bistouille ». Nous avions droit à cinq centilitres par jour et ils étaient mesurés et servis grâce
au boujaron. Les terre-neuvas ont été les derniers, vers les années soixante-dix,
à abandonner cette unité de mesure si chère à la marine à voile d’autrefois. (L. Martin,
Forçats de l’océan. La grande pêche de Terre-Neuve aux Kerguelen, 1986, 42.)
14. […] il amenait avec lui du café et la bistouille, l’alcool régional […]. (M. Teneur Van-Daele, Au temps des artisans, 1989, 12.)
□ Dans un énoncé définitoire ordinaire.
15. Un coup de « bistouille » ? [titre] / La « bistouille », c’était autrefois le petit coup de genièvre, un remontant que les « gueules noires » s’offraient à l’estaminet* pour se donner du cœur au ventre avant de descendre pour une longue journée dans
la mine. (Rustica, n° 1020, 12 juillet 1989, 40.)
■ variantes. bistoule "id.". « Café bistoule (ou bistouille) […] Dans le fond de la jatte* encore chaude du café qu’on vient de boire, on se verse une “goutte” de rhum ou de brandy : l’alcool tiédit, on le boit. On procède parfois autrement :
on boit un peu du café pur, pour faire de la place dans la tasse, on verse du rhum
ou du brandy dans le café et on continue de boire » (J. Messiant, La Cuisine flamande traditionnelle, 1998, 250).
◆◆ commentaire. Le terme est surtout en usage dans le nord de la France et en Belgique (PohlBelg 1950),
mais il est relevé aussi dans le français populaire (BauchePop 1920 ; CaradecArgot
1977-1998). Il est attesté au sens 1 av. 1901, dans un exemple métalinguistique (« la consommation qu’on nomme dans le Nord la bistouille et qui se compose d’eau de marc de café additionnée d’un ou deux centilitres de fil » BruantArgot s.v. eau-de-vie)a et enregistré dans les dictionnaires généraux contemporains avec cette marque diatopique.
Le sens 2, également marqué diatopiquement dans les dictionnaires de référence (mais absent
de GLLF), est attesté en 1908 (Hamp, dans une scène située à Boulogne-sur-Mer, Frantext)b ; il est aujourd’hui employé par référence au nord de la France pour créer la couleur
locale (ex. 10), et, surtout, entré dans la voie de la dérégionalisation, au sens
élargi d’"eau-de-vie"c. C’est l’Artois, semble-t-il, qui est au cœur de l’aire de bistouille, lequel est senti dans le nord de la France comme un terme du Pas-de-Calais. On remarquera
que la forme bistrouille est bien attestée dans le sud-est du Pas-de-Calais, avec les même sens, tandis qu’en
fr. fam. bistrouille signifie "eau-de-vie de mauvaise qualité ; mauvais vin" (ainsi G. Chevalier, Clochemerle, 1934, Frantext ; aussi Rive-de-Gier, enq. J. Serme). Malgré diverses hypothèses (notamment celle
d’rattachement à fr. trouiller), ce type lexical est d’origine incertaine.
a C’est par méprise que le TLF, suivi par Rob 1985, donne cette date pour le sens "eau-de-vie".
b V. encore cette attestation dans un roman dont les acteurs sont des marins-pêcheurs
de Boulogne-sur-Mer : « À bord de la Tour d’Odre, Gingolph avait pour patron Torcaille la Bistouille, ainsi surnommé à cause du terrible goût qu’avait eu et qu’avait encore le patron
pour l’eau-de-vie mêlée de café » (R. Bazin, Gingolph l’abandonné, Paris, 1914, 243).
c Ainsi sous la plume d’un auteur lyonnais (« Au passage, je récupérai une bouteille de prune au bas d’un placard . – La bistouille, c’est encore ce qu’il y a de meilleur avec la viande froide, glissa-t-il entre ses
dents » A. Demouzon, Adieu, la Jolla, 1981, 50).
◇◇ bibliographie. CartonPouletNord 1991 ; Rézeau MélHöfler 1997, 349 ; ALPic 439 ; FEW 13/2, 42b, torculum et 396a-b, 466b, *tudiculare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance (1) : Nord et Pas-de-Calais, 100 % ; Somme, 65 % ; Aisne, 50 %. (2) Dans ces mêmes départements : 0 %.
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