café n. m.
I. café-bistouille. V. ci-dessus bistouille.
II. café 〈Normandie, Eure-et-Loir (ouest)〉 vieillissant "tasse de café auquel, traditionnellement, on ajoute une rasade d’eau-de-vie".
□ En emploi métalinguistique.
1. Jusqu’à une date récente, il allait de soi qu’un café était un café arrosé. L’anomalie était le café noir dit café de bonne-sœur. (A. Morin, M.-R. Simoni-Aurembou, Le Perche à table, 1992, 107.)
■ encyclopédie. « […] dans bien des débits de boisson du Calvados, et à Caen même, à la fin des années
soixante, le café pur n’était […] pas tarifé en tant que tel. On demandait systématiquement
au client : “Rhum ou calva ?” » (BrasseurNorm 1990). Si, en effet, traditionnellement « le café implique qu’il est arrosé », il reste qu’ « actuellement habitudes et mots disparaissent peu à peu, même au cœur de la Normandie.
On est obligé de préciser, comme je l’ai entendu dans un café de Mortagne-au-Perche
(Orne) en novembre 1991 : “un petit café amélioré”, pour avoir un café noir et un petit verre de rhum » M.-R. Simoni-Aurembou, « La Cartographie de la mémoire », dans Milieux et mémoire, éd. Frank Alvarez-Péreyre, Cahiers du centre de recherche français de Jésusalem,
diff. Peeters, 1993, 236 et n. 8).
La coutume était bien implantée au 19e siècle dans le Perche : « En 1860 il y a six cafés à Thiron [Eure-et-Loir] et deux hôtels, ou le café est servi
chaud dans une tasse à queue avec soucoupe, trois morceaux de sucre de la grosseur
du pouce, puis un petit ver d’eau-de-vie, le tout pour 25 centimes. / En 1864 on a
pris l’habitude de servir des demi café ; qui ce composent de la demi-tasse, un petit
ver et deux morceaux de sucre, et se vend 15 c » (Extraits d’un manuscrit d’Arsène Vincent (1831-1881), publié avec sa graphie d’origine
sous le titre « L’alphabet du quotidien », par M.-R. Simoni, Cahiers percherons 69-70, 1982, 25) ; cf. A. Morin, M.-R. Simoni-Aurembou, Le Perche à table, 1992, 108 : « en 1895, on pouvait lire dans Le Républicain de Nogent-le-Rotrou qu’au milieu du siècle déjà, "dans le Perche on appelait café un liquide quelconque pourvu qu’il fût noir, fortement édulcoré de sucre et additionné
d’une énorme quantité d’eau-de-vie". »
1. faire son café loc. verb. "mettre de l’eau-de-vie dans sa tasse de café". Synon. région. faire la bistouille*.
2. « … Ah ! tu sais, ça me fait du bien de m’être laissé aller à parler ainsi, c’est si
rare que j’évoque le passé… sans doute ai-je beaucoup de sympathie pour toi. Tiens,
fais donc ton café [en note : Mets donc du calva dans ton café. (Rite cauchois)]… » (B. Alexandre, Le Horsain, 1988, 242.)
3. Un agriculteur raconte : « On servait le café / puis la bouteille de goutte (calvados) circulait / le patron disait / faites votre café […]. » (SchortzSenneville 1998, 148.)
V. encore ici ex. 13.
2. café + adj. ou part. passé
— 〈Seine-Maritime, Calvados, Orne (est), Manche〉 café coiffé "tasse de café arrosé (de calvados)". Synon. région. bistouille*. – C’est encore le calvados qui parfume le café « consolé »* ou le café « coiffé » (S. Morand, Gastronomie normande, 2000 [1970], 378).
4. […] on appellera café coiffé le café arrosé de goutte. Du café bien coiffé comportera donc une bonne proportion d’alcool. (R. Lepelley, « Le vocabulaire de l’eau-de-vie de cidre ou calvados dans le français régional de Normandie », dans ColloqueDijon 1976, 93.)
5. […] un confortable repas arrosé de pur jus, et qui s’était terminé par un café copieusement « coiffé » de la « meilleure ». (L. Costel, Bonnes Gens de mon pays, 1994, 77.)
— 〈Seine-Maritime, Eure, Calvados, Orne〉 café consolé "tasse de café arrosé (de calvados)". Synon. région. bistouille*.
6. […] un jour qu’il se trouvait au café où il avait pris plus que de coutume, ayant
abusé des coups de café bien consolés, la langue bien déliée, il se mit à faire des confidences […]. (R. Dubos, Histoires normandes, 1978, 90.)
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident.
7. […] tandis que je goûte mon café si chichement « consolé » (comme disent aussi les Cauchois), je vois son œil à l’affût qui clignote derrière
sa paupière, comme derrière un volet… (B. Alexandre, Le Horsain, 1988, 283.)
8. L’usage le plus ordinaire, et même presque exclusif, du calvados […] était celui du
café arrosé, dit encore « consolé ». On met un peu de calvados dans son café de midi pour compléter la tasse puis, celle-ci
s’étant un peu vidée, on rajoute de l’alcool pour la remplir, et ainsi de suite jusqu’à
ce que, sous les protestations du servi et dans les rires, la tasse fût parfois, au
dernier tour, entièrement pleine d’alcool. (J.-L. Maunoury, Cènes de famille, 1999, 104.)
— 〈Calvados, Orne, Manche〉 café national (vieilli) / tricolore / aux trois couleurs "tasse de café arrosé de calvados, de rhum et de kirsch" ; 〈Nord〉 café tricolore "tasse de café arrosé de rhum, de cognac et de genièvre". Synon. région. bistouille* tricolore.
9. Après le café aux trois couleurs : eau-de-vie, kirsch et rhum, l’exaltation était complète et la grande cuisinière
donna le signal des danses. (A. de Tourville, Jabadao, 1951, 161.)
10. Lorsque je suis revenu, les tasses étaient mises pour le café. […] On prend le café aux trois couleurs, comme il se doit. Par là-dessus, rincette, surrincette, le gloria, le coup* de pied au cul, le coup de l’étrier […]. (R. Dubos, Histoires normandes, 1978, 58.)
11. « […] Gâteau de la mariée – Friandises assorties – Vins de marques – Café national ». En note : « Famille de petits propriétaires, 7-8 ha, Vassy, 1937. » La vieille dame glisse le menu de mariage dans une enveloppe. (A. Frémont, Paysans de Normandie, 1981, 82.)
□ En emploi métalinguistique.
12. […] un café aux trois couleurs ou un café tricolore. Il s’agit d’un café dans lequel on a versé trois rations d’alcool : l’une d’eau-de-vie
de cidre bien entendu, une autre de rhum et une autre de kirsch. (R. Lepelley, « Le vocabulaire de l’eau-de-vie de cidre ou calvados dans le français régional de Normandie », dans ColloqueDijon 1976, 93.)
13. Pour faire son café, on ajoute parfois aussi du kirsch, mais rarement les trois alcools ensemble, ce qu’on
nomme alors café tricolore. (BrasseurNorm 1990, 43.)
14. Café tricolore […] Boire un peu de café brûlant dans la tasse ; faire l’appoint avec du rhum. Boire
un peu du mélange et faire l’appoint avec du brandy. Boire un peu de ce nouveau mélange
et faire l’appoint avec du genièvre. Boire le reste… (J. Messiant, La Cuisine flamande traditionnelle, 1998, 250.)
— 〈Sarthe, Loir-et-Cher〉 café pieds nus "tasse de café nature, sans adjonction d’alcool".
15. Dans ce pays de pommiers, l’eau-de-vie fait partie de l’indispensable quotidien. Aurait-on
idée de boire son café pieds nus [en note : nature], comme à Paris ? (L. Lebourdais, Les Choses qui se donnent…, 1995, 126.)
16. À la Barre, jamais de la goutte n’avait été mise dans le lait des nouveaux-nés. Il
en fallait, par contre, aux bonshommes, dès le matin pour démarrer et tout au long
de la journée pour le café arrosé à raison de plus de dix cafés par jour. Jamais la
Barre n’aurait servi du café « pied nu » [sic]. (J.-Cl. Boulard, Le Charretier de la Ravissante, 1996, 40.)
◆◆ commentaire. Aucune de ces locutions n’est prise en compte par la lexicographie générale contemporaine.
La seule qui ait été relevée dep. le début du siècle, café consolé, apparaît en 1907 (BarbeLouviers, v. FEW 2, 1075b, consolari) et est peut-être plus ou moins dérégionalisée (cf. consoler son café "l’arroser d’une rasade d’alcool", GiraudBistrot 1989) ; elle appartient au champ lexical de consolante "dernière tournée (de boisson)", consolateur "litre de vin", consolation "liqueur, boisson", se consoler "boire (pour se remonter le moral)" (tous dans GiraudBistrot 1989). Dans café coiffé, le part. passé/adj. est sans doute un héritage de coiffer "mêler (une liqueur à une autre)" (Trév 1771, v. FEW 2, 837a, cofia). Les lexies café national (à aj. à FEW 7, 42a, natio), tricolore ou aux trois couleurs (à aj. respectivement à FEW 2, 922a-b et 923b, color) ont dû naître au tournant des 19e-20e s. (cf. dans un menu du 14 juillet à Tourouvre [Orne], « café aux couleurs nationales », dans Le Perche, 17 juillet 1898) ; café pieds nus ne semble pas avoir été enregistré dans les relevés régionaux, mais cf. « manger la salade pieds nus "sans œufs durs dedans" » VerrOnillAnjou 1908, dans FEW 8, 303b, pes.
◇◇ bibliographie. ALPic 439* ; ALN 287* ; ALIFOms café bien consolé (Orne, pt 19), café aux trois couleurs (Perche, pts 19, 22, 38), café pieds nus (Loir-et-Cher, pt 71), café de bonne sœur (Eure-et-Loir, pts 14, 22, 38), café châtré (LoiretE, pts 43, 61) ; LepelleyBasseNorm 1989 café coiffé/aux trois couleurs/tricolore ; BrasseurNorm 1990 café, faire son café, café tricolore ; LepelleyNormandie 1993 café coiffé/consolé/aux trois couleurs/tricolore ; M.-R. Simoni-Aurembou, « La Cartographie de la mémoire », dans Milieux et mémoire, éd. Frank Alvarez-Péreyre, Cahiers du centre de recherche français de Jésusalem,
diff. Peeters, 1993, 236 café coiffé/aux trois couleurs/patriote vs café de bonne sœur/châtré/pieds-nus ; Simoni-Aurembou, Brun-Trigaud ColloqueRennes 1996, 173, n. 8 café aux trois couleurs ; SchortzSenneville 1998, 148, n. 304 faire son café « locution très vivante ».
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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