carbonade ou carbonnade n. f.
I. 〈Surtout Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Ariège, Lot, Aveyron, Pyrénées-Atlantiques (est)〉 "morceau de porc, entre l'épaule et l'échine, que l'on fait griller". Stand. grillade.
1. La vigne avait encore permis la fête du pèle porc [= abattage du porc à la ferme]
qui avait laissé les poutres noires de la cuisine de Sourine lestées de boudins, de
saucisses, de jambons, et de lards gouttant par vent marin*. Mais, à peine passée la fumée savoureuse des carbonades sur le gril, elle avait de nouveau exigé qu'on s'occupât d'elle et il avait fallu
la lier. (J. Peyré, Le Puits et la Maison, 1997 [1955], 72.)
2. On fait des grillades avec le maigre des côtes [du porc] […]. (la meilleure partie,
la carbonade, se lève sous l'épaule). (S. Palay, La Cuisine du pays, 1978, 121.)
V. encore s.v. coustélous, ex. 3.
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
3. Couronné par la savoureuse « carbonade », filet grillé sur braises de sarments, le festin de cochonnaille me tournait pourtant
moins la tête que l'agitation de la maisonnée. (J. Peyré, Souvenirs d'un enfant, 1958, 222-223.)
■ encyclopédie. Recette de « Carbonade » dans A. Bonnaure, La Cuisine rustique. Languedoc, 1971, 151.
— En part. 〈Landes〉 "tranche de jambon que l'on fait griller" (BoisgontierAquit 1991).
II. [Plat mijoté ; ragoût]
1. 〈Provence〉 "ragoût de mouton".
4. Carbonnade […] 2 tranches de gigot de mouton de 400 g chacune […]. Une demi-heure avant la fin
de la cuisson, mettre dans la cocotte de la carbonnade les artichauts et les haricots et les mélanger au reste des légumes. (L'Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine provençale, 1980, 91-92.)
2. 〈Surtout Landes, Gironde〉 "rouelle de veau, prise dans le jarret ; tranche de veau prise dans l'épaule ou dans
la cuisse entre le cuisseau et le quasi". Tranche de carbonade ; dans la carbonade ; de la carbonade.
5. […] elle est contente que le fils Salone […] consente à déjeuner chez elle, qu'il
trouve tout excellent, qu'il ait même redemandé de la « carbonade » […].
– […] Comme disait mon pauvre mari, chez les riches ce n'est pas toujours aussi mijoté que chez nous. (Fr. Mauriac, Galigaï, 1952, 17-18.) 6. Carbonade de veau / […] Demandez à votre boucher de découper, dans l'épaule du veau, une tranche
de 3 à 4 cm d'épaisseur. […] Servez la carbonade accompagnée, au printemps, d'une purée de fèves et, en hiver, d'une purée de pois
cassés bien mousseuse. (E. et J. de Rivoyre, Cuisine landaise, 1980, 143.)
■ encyclopédie. Recette de « Carbonade de veau à la quercynoise » dans L'Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine du Périgord, 1979, 99.
3. 〈Aude, Lozère, Cévennes〉 économie rurale traditionnelle "viande du porc que l'on vient de tuer, mijotée avec des pommes de terre".
— Par méton. "jour où l'on tue le cochon ; repas qui suit l'abattage". La table des carbonnades (R.-A. Rey, La Passerelle, 1976, 100).
7. On le tuait au début de l'année et c'était la fête du Cochon : la Carbonnade. (R.-A. Rey, Augustine Rouvière, Cévenole, 1977, 53.)
□ Dans un commentaire métalinguistique incident.
8. Le repas de midi de ce jour-là [abattage du porc], « carbonade », est fait en Cévennes de viande saignante et de pommes de terre. (F. Buffière, « Ce tant rude » Gévaudan, 1985, 1558.)
4. 〈Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne〉 Le plus souvent au pl. "gros dés de bœuf à braiser, mouillés le plus souvent à la bière et cuits à l'étouffée,
selon diverses préparations proches du bœuf-mode".
9. […] la carbonade – loin d'être une grillade comme ce nom pourrait le laisser supposer – est un plat
de longue cuisson, avec l'alliance chère aux Flamands, celle du sucré et du salé.
(L'Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Nord-Pas-de-Calais, 1994, 201.)
— Dans le syntagme carbonnade(s) flamande(s).
10. Carbonades flamandes / […] Ces carbonades ont plusieurs formules. On les sert traditionnellement avec des pommes de terre frites,
qui escortent en Flandres la plupart des viandes. (L'Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine Flandres, Artois-Picardie, 1979, 61 et 62.)
11. Les menus de la cantine scolaire de Cottenchy, Dommartin, Estrées, Fouencamps, Guyencourt
et Remiencourt [Somme]. […] Vendredi : salade du littoral, carbonnade flamande, frites, petit suisse, liégeois. (Le Courrier picard, 10 octobre 1998, 24.)
12. Il n'est de carbonade que flamande ! C'est l'un des plats que vous trouverez dans ces délicieux petits estaminets* dont l'âme renaît peu à peu […]. (J. Messiant, La Cuisine flamande traditionnelle, 1998, 130.)
— Par anal.
13. Ne manquez pas, sur la Côte, de commander une « carbonade de poisson ». La bière et la mer constituent pour notre grand plaisir une union très heureuse.
(M. Demarquette, introduction à J.-C. Liégeois et D. Verraest, Recueil de la gastronomie des Flandres et d'Artois, 1984, 1.)
■ encyclopédie. Recettes de « Carbonnades flamandes » dans L'Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine Flandres, Artois-Picardie, 1979, 61-62 ainsi que dans J.-C. Liégeois et D. Verraest, op. cit., 36, et de « Carbonade » dans L'Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Nord-Pas-de-Calais, 1994, 201-202.
■ graphie. Vedettes des dictionnaires généraux récents : GLLF carbonade ou carbonnade ; TLF carbon(n)ade ; GR 1985 et Lar 2000 carbonnade ou carbonade ; NPR 1993-2000 carbonade, var. carbonnade.
◆◆ commentaire. D'aocc. carbonada (correspondant à afr. charbonnée), dér. sur aocc. carbon "charbon".
I. Attesté dep. Rabelais 1534 (TLF) – il s'agit souvent, aux 16e et 17e s., d'une viande que l'on fait d'abord légèrement rôtir ou bien revenir dans une
poêle avant d'en poursuivre la cuisson à l'étouffée –, ce sens n'est guère usité aujourd'hui en français standard de France. C'est le constat
que fait M. Rheims en l'engrangeant parmi ses Mots rares (1965) et il est significatif que GLLF, TLF et Rob 1985 (qui par ailleurs accueillent
le mot sans marque d'usage) n'en donnent aucun exemple pour les 19e et 20e sièclesa. Déjà à partir du 17e s., on ne relève ce sens précis que de façon sporadique, en diverses régions, ainsi
en 1723 à Aix (« Cher cüecho sur leis carbons senso grillo. f. carbonnade » Pellas), en 1756 à Alès (« La carbonade ou la charbonée du côté de Paris est un morceau de viande crüe qu'on fait griller sur les charbons » Sauvages), en 1786 dans le Haut Doubs (« Charbonnée f. ou carbonnade f. tranche fine de porc, veau, &c. grillée ordinairement
sur le charbon, pour être ainsi mangée » SchneiderRézDoubs), ca 1805-1810 à Léren (Pyrénées-Atlantiques)b, en 1836 en Provence (Gabrielli), en 1896 à Chalon-sur-Saône "tranche de porc à griller" (Fertiault), en 1893 dans les Landes [E. Dufourcet], Le Cuisinier landais, 1893 [1987], 123. De nos jours, en dehors de quelques traces dans le Loir-et-Cher
(ALIFO 561, 565 et 566* [là kàrmonàd]), cet archaïsme est relevé comme un trait géographiquement
marqué du Sud-Ouest (RLiR 42, 39) et particulièrement de Toulouse (SéguyToulouse 1950
carbonades pl. « vieux mot très diffusé » ; FossatBoucherie 1971, 129 ; MoreuxRToulouse 2000c), du Gers et de l'Ariège (BoisgontierMidiPyr 1992, qui cite un ex. de R. Escholier
[Ariège] du premier tiers du 20e s. – exemple qui correspond exactement à la définition de Rich 1680 "viande qu'on léve de dessus un porc frais pour la faire griller").
II.1. Attesté pour le Languedoc dep. 1742 (« Carbonnade de mouton à la Languedocienne. […] Coupez des rouëlles de mouton d'un bon
gigot […]. Mettez au fond de la terrine du lard entrelardé, ensuite des grosses tranches
d'oignon » [Fr. Marin], Suite des Dons de Comus I, 364-365) ; 1756 (« la Carbonade de Languedoc, qui est une grosse rouelle d'un gigot du côté de la noix, lardée de gros lard & qu'on met à l'étuvée dans une
terrine » Sauvages), tous les deux dans HöflerRézArtCulind, et pour le français de Provence en 1787 (« haricot est aussi le nom d'un ragoût de mouton avec des navets, etc. […] C'est ce qu'en Provence
on apèle la carbonade » Féraud) ; ce sens est absent des dictionnaires généraux contemporains.
2. Attesté dep. 1823 en Gironde (« Dans le midi, on nomme improprement carbonnade, une tranche de veau que l'on met en sauce » JBLGironde) ; en 1883 (« À Bordeaux, on appelle encore carbonnade, une pièce de veau cuite sur le gril, et le plus souvent à la casserole » Gdf s.v. charbonadee) et absent des dictionnaires généraux contemporains, cet emploi est attesté pour
le Quercy (« Carbonnade de veau à la quercynoise » La Cuisine du Périgord, 1979, 99), en Dordogne (ChaumardMontcaret 1992), mais surtout en Gironde (GonthiéBordeaux
1979, DuclouxBordeaux 1980, SuireBordeaux 1988, BoisgontierAquit 1991 ; SuireBordeaux
1991). Ce sens est absent des dictionnaires généraux contemporains.
3. Variante des précédents, donnée avec deux exemples, de 1985 et 1989, dans CampsLanguedOr
1991. Ce sens est absent des dictionnaires généraux contemporains ; cf. EudelBlois
1905 « carbonade. Débris de porc cuits avec le sang » ; RougéTouraine 1931 « carbonade ou carbonée (Auzouer ; Châteaurenault) civet fait avec le foie, le mou et le sang du cochon qu'on
vient de tuer ».
4. Attesté dep. 1889 carbonnades à la flamande (« […] les viandes que l'on veut braiser, c'est-à-dire qu'on veut cuire à l'étouffade,
comme le bœuf à la mode, les carbonnades à la flamande »Journal de la cuisine, 3b/118a, v. HöflerRézArtCulin. Absent de GLLF, TLF et Rob 1985, ce sens est signalé
sommairement dans NPR 1993-2000, mais sans indication du pluriel (« région. (Flandre) Plat de bœuf braisé, aux oignons ») et dans Lar 2000 « région. (Nord-Est) ; Belgique » ; il est relevé dans LarGastr 1938 carbonnades à la flamande et dans Lar 1960 : « carbonade ou carbonnade […]. Préparation de viande grillée sur des charbons […] (En Flandre, on prépare des
carbonades mouillées à la bière) ». Enregistré comme régionalisme lexical pour la France dans CartonPouletNord 1991,
sans exemple ; pour la Belgique, par PohlBelg 1950 et MassionBelg 1987 (ces deux derniers
auteurs faisant aussi référence à d'autres sources belges), Hanse 1994 ; LeboucBelg
1998 ; parmi les sources wallonnes, on notera FrancardBastogne 1994, qui utilise le
terme dans sa métalangue (« carbonâdes n. f. pl. Carbonades ; morceaux de viande… »). L'emploi du mot au singulier en ce sens semble beaucoup moins usuel (GuilleminRoubaix
1992) ; il est attesté en 1891 carbonnade flamande (« Ce morceau est placé entre le collier et le train de côtes. Il est spécialement affecté
à Bruxelles à la confection du plat si réputé qu'on appelle “carbonnade flamande”. Ce mets absolument indigène, presque local à son origine, a acquis, de vieille date,
droit de cité dans la gastronomie gauloise » Journal de la cuisine, 1891, 168a, v. HöflerRézArtCulin) ; cependant, des témoignages oraux parisiens (mai
1995) donnent le mot au singulierf.
a Le texte de F. Deschamps, Croque en bouche, 1980 [1976], 361, cité dans HöflerRézArtCulin s.v., n'est probablement guère significatif
d'un usage courant, dans la mesure où il est extrait d'un ouvrage qui a pour thème
la cuisine.
b « Article 5ème / Tuerie des cochons / Le salaire d'usage pour celui qui tue les cochons […] est
une partie du foie de l'animal et un morceau de carbonade », dans Documents pour servir à l'Histoire du département des Pyrénées-Atlantiques, n° 2, 121 (éd. J. Staes ; texte communiqué par B. Moreux).
c L'indication « régionalisme général et inconscient » y est assortie de cette observation : « C'est cependant grillade qui est affiché au marché V. Hugo [de Toulouse] ».
d C'est le sens qu'illustre en fait l'exemple d'A. Daudet donné par le TLF, à la condition
de le replacer dans son contexte ; cf. Lar 1867 (« Carbonnade […] Ragoût en usage dans le midi de la France, où on le fait avec des oignons, de
l'ail et des restes de viande »), BurnsDaudet et MichelDaudet.
e La source de Gdf n'a pu être identifiée – il ne s'agit pas, en tout cas, du glossaire
de J. Despit.
f Cf. l'indication, malheureusement non localisée, de Thérive FrMod 8 (1940), 132 :
« Touchant le mot carbonade […], il est curieux de noter qu'il signifie aujourd'hui une sorte de bœuf en sauce,
alors que bien que repris au provençal, il devrait être l'équivalent de la charbonnée du moyen âge, qui signifiait une viande grillée sur des charbons. »
◇◇ bibliographie. FEW 2, 358a carbo, qui signale aussi "civet de porc", attesté notamment en Touraine en 1931 et en Sologne en 1932. Aux exemples de Huguet,
on ajoutera celui de Cholières dans Guérin 1892.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I.) Ariège, Haute-Garonne, Lot, 100 % ; Tarn-et-Garonne, 65 % ; Aveyron, 50 % ; Tarn,
35 %. (II.4.) Nord, Pas-de-Calais, 100 % ; Aisne, 70 % ; Somme, 30 % ; Oise, 0 %.
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