cruchade n. f.
〈Surtout Lot-et-Garonne, Pyrénées-Atlantiques, Landes, Gironde〉 usuel
1. "bouillie épaisse, à base de farine ou de semoule de maïs (ou de mil), qui se mange
chaude ou qui, refroidie est découpée en tranches que l’on fait frire ou griller". Synon. région. millas*.
1. On mangeait tous les jours la soupe aux haricots, une tranche de lard frit à la poêle
et une cruchade frite dans la graisse du lard. (A. Dupin, Pierric, 1953, 83.)
2. […] elle préparait une bouillie de farine de maïs qu’elle coulait en épaisses crêpes
dans des assiettes creuses. La bouillie se coagulait et, avant le repas, Etiennette
faisait frire la cruchade. (P. de Cerval, Terre acide, 1962, 121.)
3. – […] Les gens supporteront de moins en moins de vivre comme des loups dans ces quartiers
perdus, nourris de pain noir et de cruchade. (Fr. Mauriac, Un adolescent d’autrefois, 1982 [1969], 196.)
4. Le porc avait été mal engraissé et la fricassée* manquait de liant. Se refusant à employer des pommes de terre, Hazembate [sic] avait coupé des morceaux de cruchade dans la sauce courte et la farine de maïs n’avait pas l’onctuosité du pain blanc.
(R. Escarpit, Les Voyages d’Hazembat. Marin de Gascogne (1789-1801), 1984, 105.)
5. Chaque soir, été comme hiver, ma mère fait la cruchade ; cruchade de maïs de l’automne au printemps et cruchade de mil (dit millet) pendant la saison chaude. / Elle est de tous les repas, la cruchade : du dîner*, du souper* et bien souvent aussi du déjeuner* de neuf heures. / On ménage le fricot, mais on ne lésine pas sur la cruchade, ça bourre et ça économise le pain. (G. Laporte-Castède, Pain de seigle et vin de grives, 1989, 48.)
6. Porter la cocotte ou le chaudron sur feu très doux, et faire cuire sans cesser de
tourner à la spatule en bois jusqu’à consistance d’une bouillie épaisse […]. Attention
aux éclaboussures car la cruchade crève en cloques à la surface et cela peut brûler très fort. Retirer du feu dès que
la bouillie n’est plus granuleuse et qu’elle a une texture bien moelleuse […]. (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Aquitaine, 1997, 343.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
7. En général, il dressait un feu au campement du soir pour manger chaude la cruchade, sorte de bouillie à la semoule de maïs, et pour se réchauffer. (R. Boussinot, Vie et mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes, 1976, 27.)
8. La « cruchade », cette bouillie de maïs que les Italiens nomment la « polenta », qui leur sert de pain, et que nous consommons, nous, grillée sur la braise et saupoudrée
de sucre, me procure autant de plaisir que le menu d’une toque de renom. (A. Paraillous,
Le Chemin des cablacères, 1998, 175-176.)
■ remarques. Cette préparation est l’équivalent de la polenta.
2. Par méton., le plus souvent au pl. "petite tranche découpée dans cette bouillie quand elle a refroidi, que l’on fait frire
à la poêle".
9. Cruchades de Saintonge aux confitures […]. Lorsque la bouillie est épaisse et cuite, la parfumer
au rhum. Etaler sur la table farinée en une couche de un centimètre d’épaisseur. Laisser
refroidir, puis découper des triangles que l’on fait frire à friture bien chaude.
Quand les cruchades sont dorées, les égoutter et les dresser. Les servir avec de la confiture d’abricots
ou d’oranges, ou de la gelée de groseilles. (J.-E. Progneaux, Les Spécialités et Recettes gastronomiques charentaises, 1980, 156.)
■ encyclopédie. Recettes de « La bouillie de maïs frite ou les cruchades » dans LaMazillePérigord 1929, 333 et de « Cruchade bordelaise », dans L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Aquitaine, 1997, 70-72.
◆◆ commentaire. Caractéristique d’une aire du Sud-Ouest, cruchade est attesté au sens 1. dep. 1784 dans le français de Gironde « La nourriture commune des Paysans [de La Brède] est le pain de seigle, la cruchade ou bouillie de maïs, et quelquefois, mais rarement, celle de bled de sarrasin » (dans HöflerRézArtCulin) ; au sens 2. dep. 1928 (A. Croze, dans HöflerRézArtCulin). Emprunt au gascon de même sens (att.
dep. 1567, croixiada dans Pey de Garros, poète de Lectoure, v. BoisgontierAquit 1991 ; ALG 742), d’origine
incertaine (FEW 21, 479b), que le TLF propose de rapprocher de gasc. cruchi "rendre croquant, croustillant", s’appuyant sur le rattachement fait par ailleurs par FEW 16, 426a, krussjan. La structure de l’aire (diffusion et vitalité) est pratiquement identique à celle
de échoppe* : on voit ainsi comment Bordeaux joue son rôle de centre directeur aussi bien en
faisant rayonner un emprunt à l’anglais dénotant une réalité typiquement urbaine (échoppe) qu’en sélectionnant, légitimant et diffusant un mot référant à une réalité rurale
et provenant de la variété dialectale (cruchade)a. Dénoncé par JBLGironde 1823, 21 (« cruchade […], dites, gaude »), le mot est pris en compte dans la lexicographie générale contemporaine (au sens 1),
avec une vague mention diatopique : GLLF « dialect. » [sic], avec exemple de Mauriac 1932 (étymologie naïve, reprise de Littré, avec toutefois
une marque d’hésitation « peut-être dér. de cruche ») ; TLF « région. », avec ex. de Pesquidoux 1921 et Mauriac 1932 ; Rob 1985 « régional », avec ex. de Colette.
a Observation de M. Charre.
◇◇ bibliographie. JBLGironde 1823, 21 ; PépinGasc 1895 « dans l’Agenais » ; LarGastr 1938 ; GonthiéBordeaux 1979 ; DuclouxBordeaux 1980 ; TuaillonRézRégion
1983 ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; SuireBordeaux 1988 et 2000 ; BoisgontierAquit 1991.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Landes, 100 % ; Gironde, 70 % ; Pyrénées-Atlantiques, 50 % ;
Lot-et-Garonne, 20 % ; Centre-Ouest, Gers, Hautes-Pyrénées, 0 %.
|