déparler v.
1. Emploi intrans. 〈Au sud d’une ligne allant de la Charente-Maritime au Jura, et dans de petites aires
excentrées : Nord (Avesnois)a, Morbihan〉 usuel "tenir des propos non fondés, dépourvus de raison, de bon sens, parler avec une certaine
incohérence, mais sans aller jusqu’à la perte totale de la conscience lucide". Stand. déraisonner, fam. débloquer. Synon. région. repapier*. – Il passe son temps à déparler ; je l’écoute plus (FréchetAnnonay 1995). Arrête donc de déparler, tu nous soûles ! (MichelRoanne 1998).
a Emploi pronominal.
1. Quantin avait parcouru à peu près la moitié du chemin, et il s’arrêta pour regarder
la nuit. Il se secoua pour se débarrasser de ces idées-là.
Allait-il devenir fou ? Allait-il se mettre à déparler tout seul, au beau milieu du bois, en pleine nuit ? (B. Clavel, Le Voyage du père, 1972 [1965], 227.) 2. Le Curé m’interrompit :
– Il vaut mieux que je m’en aille, tu vas déparler, comme dit Madame. (Fr. Mauriac, Un adolescent d’autrefois, 1982 [1969], 78.) 3. Jean-Edouard resta coi, stupéfait par la tranquillité avec laquelle son fils venait
d’énoncer une hypothèse tellement stupide et invraisemblable qu’elle le laissait sans
voix.
– Mais… Mais tu déparles ! marmonna-t-il enfin. Il n’en est même pas question, tu es devenu fou ou quoi ! (Cl. Michelet, Des Grives aux loups, 1982 [1979], 125.) 4. – Il lui est arrivé quelque chose !
– Oïe ! Tu déparles ! Tu sais comme il est quand il part aux champignons. – Non ! cria Carmonita. Jamais après la nuit ! Il sait comme je suis sensible… Jamais il ne rentre à la nuit ! (P. Magnan, Les Charbonniers de la mort, 1988 [1982], 161.) 5. – Auguste, tu déparles… Tu ne peux pas penser sérieusement ce que tu viens de dire… (Y. Audouard, La Clémence d’Auguste, 1986 [1985], 100.)
6. – Entendu. Alors je vais m’en aller.
– Bonne route, vieux gars. – Avant, combien je dois pour les tisanes et la nourriture ? – Commence pas à déparler si tôt. (Ch. Exbrayat, La Désirade, 1985, 12.) 7. – Pourtant il s’est rendu à la vogue* de Bourg, dimanche ?
– À la vogue ? Vous déparlez, ma pauvre ! Je vous répète qu’il est dans son lit […]. (Ch. Exbrayat, Le Château vert, 1987, 232.) 8. Évidemment il ne faut pas prendre ses propos au pied de la lettre. L’agacement le
faisait « déparler ». (Y. Audouard, Les Cigales d’avant la nuit, 1988, 83.)
9. – Oubliez ce que j’ai dit tout à l’heure ; j’ai un peu déparlé… (M. Donadille, Pasteur en Cévennes, 1989, 91.)
10. Parfois aussi, sans doute, elle déparlait un peu, quand elle me disait avoir aperçu des fées autour de sa maison, ou le Drac,
ou même le diable en personne. (Chr. Signol, Marie des Brebis, 1989, 82.)
11. – Faut pas faire attention. Le Lucien, c’est point le mauvais bougre, mais quand on
lui parle des histoires du vieux temps, des fois il déparle. (J. Failler, Le Manoir écarlate, 1996 [1994], 78-79.)
● En relation, souvent antonymique, avec parler. – Tais-toi ! Tu parles sans savoir. Tu déparles (Ch. Le Quintrec, Chanticoq, 1989 [1986], 42).
12. Elle était si effacée… Moi, je m’en faisais reproche ! Je me disais : tu cries, tu
parles et tu déparles, elle, elle dit pas rien [= elle ne dit rien]. Elle disait pas rien, mais pour le
gamin, elle faisait qu’à sa tête. (Cl. Vincent, Les Roses de l’hiver, 1982, 146.)
13. Tu sais comment ils sont les hommes entre eux ; ils parlent et ils déparlent, ils disent ce qu’ils savent et ils inventent ce qu’ils ne savent pas pour paraître
mieux renseignés que les autres. (M. Donadille, Pasteur en Cévennes, 1989, 73.)
14. Il faut boire le vin de l’amitié et rompre le pain avant toute chose. « Ventre creux, comme gueux ; ventre plein, tout est bien », dit-on. Et aussi : « Qui trop parle déparle. » C’est ainsi que se brisent les estimes, que meurent les amitiés. (R. de Maximy, Le Puits aux corbeaux, 1996 [1994], 195.)
15. Ils avaient failli en venir aux mains.
– Vé*, un journal qu’il a fait son succès en incitant à zigouiller des Arabes, moi, ça me soulève le cœur. Rien que de le voir, j’ai comme les mains sales. – De Diou ! On peut pas parler avec toi ! – Mon beau*, c’est pas parler, ça. C’est déparler. Vé, j’ai pas cassé du boche [sic, sans majuscule] pour entendre tes conneries. (J.-Cl. Izzo, Chourmo, 1996, 24.) 16. Elle montre une nervosité que la caméra consigne. Elle parle, parle, déparle, elle dit qu’elle est très tendue, stressée […]. (Fr. Marmande, dans Le Monde, 27 juillet 1998, 35.)
— En constr. factitive 〈Provence, Haute-Garonne〉 faire déparler qqn "amener quelqu’un à tenir des propos incorrects ou grossiers, à s’abandonner à des
excès de paroles". Taisez-vous, tè*, vous me feriez déparler ! (SéguyToulouse 1950). Il m’a tellement mis en colère qu’il m’a fait déparler (BouvierMars 1986). J’y suis allé un peu fort, la colère m’a fait déparler (ArmanetBRhône 1993).
— En part. "tenir des propos qui dénotent une perte grave de la capacité de juger et de la lucidité". Stand. divaguer, délirer. – La mémée [sic] déparle : faut comprendre, elle a passé les 80 (ans) (GononPoncins 1984). Il n’a plus sa tête à lui, depuis quelques [sic] temps il déparle (GermiChampsaur 1996). Des poivrots […] qui déparlent en marchant dans les rues (D. Van Cauwelaert, La Vie interdite, 1999 [1997], 282).
17. Le vieillard au terme de sa vie peut perdre la notion des choses et son esprit vagabonder
dans l’irréel : il déparle. (J. Bridot, Voyage au pays de nos pères, 1977, 57).
18. Restait le grand-père, mais lui il ne quittait plus son lit depuis des mois et il
déparlait ; ce qu’il était advenu de sa petite-fille ne devait pas le troubler. (Cl. Michelet,
Des Grives aux loups, 1982 [1979], 152.)
19. Le blessé se mit à prononcer des phrases sans queue ni tête. Le vieux hocha la tête.
– Le voilà qui déparle… C’est mauvais signe. (Ch. Exbrayat, Le Chemin perdu, 1982, 297.) 20. – Quinze jours que vous avez battu la campagne à déparler tant que j’en ai la tête comme une citrouille.
– Qu’est-ce que j’ai dit ? – A l’heure qu’il est ça m’a passé de l’idée. Et puis, moi, je suis pas assez leste pour vous suivre par tous les chemins où vous alliez ! (Cl. Vincent, Les Roses de l’hiver, 1982, 153.) 21. Dans la matinée, le mal s’aggrava. Le malade se mit à déparler. Mais, fait surprenant, ce diable de Pierrat avait le délire plutôt rassurant. (R. Béteille,
Souvenirs d’un enfant du Rouergue, 1984, 123.)
22. Le lendemain, avant que le chat soit peigné [= de bonne heure], c’est un vieux berger
qui le trouva, assis au revers d’un fossé, l’air hagard, tout déparlant, les vêtements déchirés. (B. Gérard-Simonet, Contes du pays creusois, 1996, 67.)
V. encore s.v. bartaveler, ex. 3.
2. Emploi pron. 〈Nord, Pas-de-Calais〉 "avoir de la difficulté à s’exprimer, parler mal, bafouiller". Il parle tellement qu’il se déparle ! (CartonPouletNord 1991).
3. Emploi pron. 〈Nord, Pas-de-Calais, Aurillac (Cantal)〉 "trahir sa parole, se dédire". Tu as dit que tu allais venir […], et voilà que tu te déparles ! (CartonPouletNord 1991 ; notes marginales des enquêtes 1994-96).
4. Emploi trans. indir. 〈Var, Puy-de-Dôme, Cantal (Aurillac), Pyrénées-Orientales〉 déparler de qqn "dire du mal de, médire de".
23. […] quand on a une femme comme la tienne, on ne va pas se gaspiller avec une laitue.
Sans vouloir déparler de Beau-Sourire, mais entre ton Assunta et elle, il y a une différence de classe, tu
permets. (A. Bastiani, Le Pain des jules, 1960, 19.)
24. Et je te vole, et je t’assassine, et je te baise, et je te jure, et je t’entasse,
et je te chopine, et je te déparle du voisin, et je te caresse la voisine. (J. Anglade, Un front de marbre, 1970, 260.)
25. Il semble […] que l’Etat, ces temps-ci, ait pris le risque inconsidéré, comme l’on
dit en Auvergne, de « déparler » de ses agents, de les déconsidérer par les avantages que lui-même leur a consentis.
Un peu comme un sergent recruteur de la fonction publique qui dirait un jour : « Engagez-vous, rengagez-vous, vous verrez des acquis. » Et qui, le lendemain, en ferait procès public et reproche aux recrues. (P. Georges,
dans Le Monde, 30 novembre 1995, 34.)
◆◆ commentaire. Particularisme formel et sémantique, 1 est attesté dep. Desgrouais 1766 ; on le relève de façon suivie, dans la vaste aire
d’emploi actuelle, des recueils de cacologies du 19e s. jusqu’aux glossaires des variétés régionales contemporaines. La densité de son
usage (65 % de « connu » ou « employé » en Provence, 55 % en Midi aquitain et Languedoc occidental, 35 % en Auvergne, dont
seulement 25 % pour le Puy-de-Dôme), fragile aux marges de l’aire, est typique des
emplois français rejetés à la périphérie du Bassin Parisien (cf. aussi sa présence
dans le français de l’Avesnois et du Morbihan). Il est également relevé au Canada
(dep. 1855, FichierTLFQ ; Dionne 1909) et en Belgique (PohlBelg 1950 ; Hanse 1994).
Si la forme de-/desparler est attestée en français depuis le 12e s., particulièrement avec le sens de "médire" – continué ou recréé sporadiquement (4) – ou "se dédire" (3), le sémantisme 1, emprunté à l’occ., est mentionné tardivement (malgré les témoignages des recueils
de cacologies du 19e siècle) par la lexicographie française qui le stigmatise : Delvau [1867] "ne pas savoir ce que l’on dit, parler d’une chose que l’on ne connaît pas “argot des faubouriens”" ; Lar 1900 « fam. » ; RobSuppl 1970 « région. » ; GLLF « dialect. » ; Rob 1985 et NPR 1993-2000 « vieilli ou région. » ; TLF « région. », avec exemples de Giono 1929 et de Pagnol 1932 ; Lar 2000 « vx, région. ou Antilles ». 2. est un développement sémantique moderne, d’extension limitée en France mais connu
au Canada : "bafouiller, écorcher les mots en parlant" (Dionne 1909 ; TLF). Le phonétisme d’occ. desparlá, attesté dans toute l’aire occitane (avec les var. nord-occit. deiparlá et diparlá, ALAL 790, pts 12, 21, 48, 49, 62), témoigne d’un emploi ancien, mais qui ne peut
rendre compte de tous les sens. En effet la distribution sémantique de desparlá se fait souvent d’une façon complémentaire avec le verbe pron. se desparaulá < dis- parabola ‑are "se dédire, retirer sa parole" (Honnorat, dauph. "réduire au silence" pour occit. dauph. desparla "déraisonner"). 3. et 4., cantonnés dans des points excentriques, sont des archaïsmes du français et n’ont
sans doute maintenu leur particularisme qu’en s’appuyant sur l’emploi 1, beaucoup plus courant.
◇◇ bibliographie. FEW 7, 610-611, parabolare. – DesgrToulouse 1766 ; LagueunièreSéguier [ca 1770] ; Sauvages 1785a ; VillaGasc 1802 ; MichelLorr 1807 ; MolardLyon 1810 ; RollandGap 1810 ; ReynierMars
1829-1878 ; PomierHLoire 1835 ; GabrielliProv 1836 ; MègeClermF 1861 ; AnonymeToulouse
1875 ; ChambonVayssier 1879 ; PuitspeluLyon 1894 ; BurnsDaudet ; LambertBayonne 1902-1928 ;
VachetLyon 1907 s.v. Janot ; BrunMars 1931 « vieilli » ; MussetAunSaint 1931 ; PrajouxRoanne 1934 ; MittonClermF 1937 ; ParizotJarez [1930-40] ;
DuraffVaux 1941 ; RostaingPagnol 1942, 125 ; GagnonBourbonn 1948 ; SéguyToulouse 1950
"parler grossièrement" ; DornaLyotGaga 1953 ; JouhandeauGuéret 1955, 191 ; PierdonPérigord 1971 ; BonnaudAuv
1976 ; RLiR 42 (1978), 168 (Isère, Savoie, Sud-Ouest, Provence) ; EspallBernisToulouse
1979, 46 « employé essentiellement au-dessus de 40 ans » ; ManteIseron 1980 "divaguer (malade, moribond)" ; BoninLangy 1981 ; TuaillonRézRégion 1983 (Puy-de-Dôme) ; GononPoncins 1984 ; MeunierForez
1984 ; BouvierMars 1986 ; J. DufaudLouvesc 1986, s.v. deiparlar ; MartelProv 1988 ; MartinPilat 1989 « usuel à partir de 40 ans, en déclin au-dessous » ; DucMure 1990 ; Wiedeman MélJeune 1990, 376 ; BlanchetProv 1991 ; CartonPouletNord
1991 ; BoisgontierMidiPyr 1992 ; MazaMariac 1992 ; ArmanetBRhône 1993 ; BlancVilleneuveM
1993 ; FréchetMartVelay 1993 « globalement connu » ; PénardCharentes 1993 ; PotteAuvThiers 1993 ; VurpasLyonnais 1993 « bien connu » ; Hanse 1994 « régional » ; QuesnelPuy 1994 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement connu » ; LaloyIsère 1995 ; SalmonLyon 1995 ; CottetLyon 1996, 30 « très usité » ; GermiChampsaur 1996 ; FréchetDrôme 1997 « globalement connu, plus vivant dans le nord du département » ; ArmKasMars 1998 ; MichelRoanne 1998 ; PlaineEpGaga 1998 ; BouisMars 1999 ; ChambonÉtudes
1999, 118 (Pourrat, Gaspard des montagnes, « toujours dans le binôme parler et déparler »), 220. – En Belgique, Canada et Louisiane : Dionne 1909 (1. ; 2. "écorcher les mots") ; PoirierAcadG (1.) ; GPFC 1930 (1. ; 2. "écorcher les mots en parlant") ; PohlBelg 1950 (1.) ; Straka, MélImbs 1973, 283 (1.) ; Bélisle 1957-1971 (1. ;
2. "écorcher les mots en parlant") ; DitchyLouisiane 1932 (1.) ; DubBoulQuébec 1983 (1.) ; DQA 1992 (1.) ; Hanse 1994 (1.)
a Ne pas tenir compte de Villa 1802 où ce qui est donné pour une définition de fr. déparler est une copie aberrante de la glose de Alès dësparla, où Sauvages 1785 oppose Alès dëiparla "déraisonner, extravaguer" à fr. déparler "cesser de parler".
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1) Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, 100 % ; Aveyron, Bouches-du-Rhône, 80 % ;
Alpes-de-Haute-Provence, Tarn-et-Garonne, Vaucluse, 65 % ; Ariège, Haute-Garonne,
Tarn, Var, 50 % ; Cantal, 45 % ; Gironde, Lot-et-Garonne, 40 % ; Landes, Haute-Loire,
30 % ; Hautes-Alpes, Puy-de-Dôme, 25 % ; Alpes-Maritimes, 15 % ; Gers, 0 %.
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