goût n. m.
I. 〈Pas-de-Calais (Artois), Basse Bretagne, Loire-Atlantique〉 avoir du goût (à qqc.) fam. et rural. loc. verb. "avoir envie de qqc., souhaiter ; en part. prendre du plaisir (à), s’amuser (à)". On a plein de goût avec lui (PichavantDouarnenez 1978). Quel goût on a eu ! (CartonPouletNord 1991 s.v. goûter). Avoir du goût au travail (WacquezAllaing 2000).
1. « […] forcément que j’ai du goût à revoir tout ce que j’ai vu dans ma jeunesse ! » (H. Bouyer, Presse-Océan, 9 janvier 1984, dans BrasseurNantes 1993.)
2. S’il y avait du brouillard, on se méfiait, les gens n’avaient pas de goût de passer la nuit sur le lac. (Homme, né en 1936, dans J. André et al., À Grand-Lieu, un village de pêcheurs, 2000, 233.)
□ En emploi métalinguistique.
3. Dans la bouche d’un enfant de la campagne, l’expression « j’ai eu du goût » (« je me suis bien amusé ») sera drôle pour un citadin instruit parlant le français standard : elle ne sera même pas remarquée
de l’agriculteur voisin, auquel elle est familière. (Y. Le Berre et J. Le Dû, Anthologie des expressions de basse Bretagne, 1985, 18.)
□ Dans un énoncé définitoire ordinaire.
4. Quand je refusais de manger, elle [ma mère] me demandait parfois : « Qu’est-ce qui t’arrive ? T’as pas de goût ? » Quand elle prononçait ces mots-là, elle ne s’inquiétait pas de savoir si ma langue
était devenue insensible aux saveurs. Avoir du goût, pour elle, c’était se sentir heureux, habité par la joie de vivre. Je devinais alors
qu’il y avait quelque chose qu’elle redoutait davantage encore que ma guerre contre
la nourriture : le refus du plaisir. (I. Frain, La Maison de la source, 2000, 152.)
II. 〈Surtout Allier, Côte-d’Or, Lorraine, Haute-Saône, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Loire, Isère
(La Mure)〉 fam. "odeur" Surtout dans la loc. verb. sentir le goût. Ouvre donc la fenêtre, que* ça sent un goût de fermé [= renfermé] dans cette chambre (GononPoncins 1984). Ça sent un drôle de goût (GuichSavoy 1986 ; LanherLitLorr 1990). En entrant, j’ai tout de suite senti le goût du civet de lièvre (FréchetMartAin 1998). Je sens un goût d’essence (La Chapelle-Montligeon, Orne, dans ALIFOms).
5. Alors il avait préparé des betteraves, des carottes, de l’avoine, et il portait ça
aux chevaux. Ça fait qu’eux aussi ils faisaient le réveillon. […] Les chevaux hennissaient
quand il arrivait avec ces choses-là, ils sentaient le goût, ils sentaient qu’on leur amenait quelque chose dans la nuit, que ça n’était pas naturel.
(R. Wadier, Conteurs au pays de Jeanne d’Arc, 1985, 376.)
□ En emploi métalinguistique.
6. Lorsque quelqu’un est surpris par une odeur, il n’est pas rare d’entendre, en plein
Dijon : « Ça sent un drôle de goût ! » (Fr. Dumas, dans ColloqueDijon 1976, 48.)
— En part. "mélange industriel d’essences odorantes". Stand. fam. eau de cologne, parfum.
7. […] un lecteur attentif aux faits régionaux m’informe qu’à La Bresse, dans les Hautes-Vosges,
on dit d’une femme qui use de parfums « qu’elle se met du bon goût ». (M. Cohen, Toujours des regards sur la langue française, 1970, 155.)
◆◆ commentaire.
I. Ce tour n’est sans doute ni récent ni spécifique du français des régions considérées
(il est passé dans le créole de La Réunion), mais il semble y être particulièrement
fréquent ; il est à rapprocher des tours du français de référence prendre goût à qqc. (dep. 1667, v. FEW) et avoir du goût pour qqn (dep. Sévigné, v. FEW).
II. Pris en compte par la lexicographie dep. Thierry 1564, ce sens de goût est encore accueilli dans Ac 1932 (« goût […] se prend quelquefois pour Odeur. On sent ici un goût de renfermé. Ce tabac a un goût de pourri »). Citant ce dernier texte, PohlBelg 1950 (qui relève ce sens en Belgique) reprend
l’indication de Littré qui ajoute « par abus » ; il n’a été relevé, en effet, aux 19e et 20e siècles, que dans les parlers de la partie nord de la France (FEW), où il semble
aujourd’hui survivre en français principalement dans quelques aires de l’Est et du
Centre-Est, avec quelques traces dans l’Essonne, l’Orne, l’Eure-et-Loir, le Loir-et-Cher
et le Loiret (ALIFOms ‘une drôle d’odeur’, pts 20, 25, 28, 52, 53, 54, 58). Les indications des dictionnaires généraux contemporains
qui le mentionnent (Rob 1985 ; TLF) ne portent pas de marque diatopique, mais laissent
entendre un emploi très limité.
◇◇ bibliographie. (I) KervarecQuimper 1910 ; LeBerreLeDûBret 1985 ; BrasseurNantes 1993 ; PichavantDouarnenez
1978-1996 ; WacquezAllaing 2000. – (II) FertiaultVerdChal 1896 ; BarbeLouviers 1907 ; ChaudRéun 1974, 781 ; TuaillonRézRégion
1983 ; GononPoncins 1984 « cru français [standard] » ; GuichSavoy 1986 ; DucMure 1990 ; LanherLitLorr 1990 ; MichelNancy 1994 ; ValMontceau
1997 ; FEW 4, 342a, gustus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Finistère, 100 % ; Morbihan, 90 % ; Côtes-d’Armor, 65 %. (II) Meurthe-et-Moselle, Moselle, Vosges, 100 % ; Meuse, 65 %.
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