mâchon n. m.
〈Saône-et-Loire, Côte-d’Or, Jura, Ain, Rhône, Loire, Isère, Drôme〉 fam. "collation plus ou moins copieuse, prise au cours de la matinée ou de l’après-midi
(stand. en-cas, casse-croûte) ; repas simple, à base de préparations rustiques et roboratives ; bon repas, bien
arrosé". Un mâchon énorme, comme on sait les faire à la campagne (L.-A. Gauthier, Les Fidarchaux de Cabrefontaine, 1978, 255).
1. […] extraordinaires mâchons des Amis de Guignol, qui groupent périodiquement mille fanatiques autour d’une table
de charcutailles et de Beaujolais [sic, avec majuscule]. (M.-É. Grancher, Lyon de mon cœur, 1946, 27.)
2. – Un bon mâchon vous fera du bien, monsieur Bonnetin, depuis quelques jours, vous n’êtes pas dans
votre assiette […].
– Un peu de fatigue, éluda Gilbert. Mais vous avez raison, un bon mâchon, il n’y a rien de mieux pour vous remettre d’aplomb. (P. Salva, Le Diable dans la sacristie, 1982 [1975], 74.) 3. Ça boit, mange, papote, rigole. C’est le mâchon du vendredi, où viennent s’attabler tous les toqués [= cuisiniers] assez voisins
de Lyon pour se fournir aux halles de la Part-Dieu. (F. Deschamps, Croque en bouche, 1980 [1976], 44-45.)
4. Les gens passant par là, jetaient un coup d’œil sur le baromètre quand ils prévoyaient
une noce, un mâchon chez le cousin, une première communion […]. (L.-A. Gauthier, Les Fidarchaux de Cabrefontaine, 1978, 308.)
5. En dépit de la rapidité de notre départ et du tragique de la situation, ma mère avait
pris les précautions nécessaires. Certes, il manquait les assiettes, le petit cornet
de sel pourtant si indispensable et les œufs durs, mais elle fut très fière néanmoins
de sortir du panier un reste de rôti froid, un très beau saucisson cuit, un couteau
et cinq serviettes, et une bouteille de vin que la chère femme avait eu le temps de
couper d’eau. Ainsi le mâchon traditionnel put avoir lieu avec l’habituel déploiement de linge de table d’une blancheur
impeccable. (H. Vincenot, Mémoires d’un enfant du rail, 1981 [1980], 12.)
6. Y est pus [= ce n’est plus] l’heure du mâchon, mais d’un repas de curé : apéro, rillettes, jambonneau, macédoine de légumes, poulet
de grain à la mayonnaise, fromage de bique, poire ou pomme, café, le tout bien arrosé,
même le café. (M. Mazoyer, Les Aventures du Toine Goubard, 1982, 96-97.)
7. […] le Roger Moly leur prépare un mâchon léger qui compensera leur petit-déjeuner spartiate. Ils n’ont pas de temps à perdre,
mais comment snober une tranche de jambon de pays vieilli dans la cendre de bois et
un morceau de fromage de chèvre arrosé d’un verre de passe-tout-grains [sic] ? (M. Mazoyer, Les Vacances des berthes, 1985, 156.)
— Dans le syntagme mâchon lyonnais. Dans ce restaurant […], la tradition du « mâchon » lyonnais est respectée (Le Guide rouge 2000, 2000, 821 [Restaurant lyonnais « La Mâchonnerie »]).
8. Un mâchon lyonnais [titre] / Charcuterie, triperie, fromage : un solide en-cas autrefois avalé « sur le pouce », le mâchon est aujourd’hui un vrai repas servi dans les petits restaurants lyonnais.
(Modes & Travaux, n° 1091, octobre 1991, 134 et 136.)
9. À cette heure-là [10 heures du matin], le bar [à Villeurbanne] était encore désert.
J’arrivais en taxi, Le Monde sous le bras. La Toune quittait alors ses fourneaux, apportant le mâchon lyonnais – charcuterie assortie, saucisson chaud ou pied de cochon –, et venait passer un moment en ma compagnie. (Cl. Lucas, Suerte, 1998 [1995], 46).
10. Tout autant que ce que l’on a dans son assiette, blanquette à l’ancienne ou quenelle
sauce Nantua, il faut savoir que c’est la manière, sans manière, de se tenir à table
qui caractérise le mâchon lyonnais. La lutte des classes y prend des vacances et chaque convive ses aises. (R. Belleret,
dans Le Monde, 3 avril 1997, 2.)
11. Le mâchon lyonnais de 10 heures s’attarde volontiers sur les cochonnailles, chaudes et odorantes à souhait,
mais la référence reste le saucisson, dit de Lyon. (G. Gambier, Les Grands Succès de la cuisine lyonnaise, 1998, 14.)
□ En emploi métalinguistique.
12. […] l’après-midi du samedi ou du dimanche est en général, à la Croix-Rousse, un moment
très favorable aux invitations. […] Quand l’invitation a lieu après cinq heures, son
contenu et son style changent du tout au tout ; […] ce que j’ai souvent entendu désigner
par « petit goûter apéritif » ou plus familièrement, d’un mot lyonnais, par mâchon. On y boit du vin, de la bière et du soda pour accompagner des charcuteries, des fromages
et/ou des pâtisseries. (M. de Certeau et al., L’Invention du quotidien, 1994 [1980], t. 2, 73.)
13. Quant au mâchon, ce n’est autre qu’un casse-croûte, mais très solide, consommé sur le coup de 9 heures
du matin. Ce sont les artisans de la soierie […] qui ont créé la tradition du mâchon.
Avec les pots* de beaujolais, arrivent sur la toile cirée du « bouchon » [v. bouchon2] – qui est à Lyon l’équivalent du bistrot – charcuteries et plats rustiques. (Cuisine actuelle, n° 14, février 1992, 62.)
■ dérivés. peu usuel mâchonner v. intr. "prendre un mâchon*". « C’est en bras de chemise, les coudes sur le formica d’Odette, la mèche noire en goguette,
en train de parler filles en mâchonnant avec les copains que Paul [Bocuse] est heureux. Il a l’appétit paysan, c’est-à-dire
simple et sentimental » (F. Deschamps, Croque en bouche, 1980 [1976], 68). – SalmonLyon 1995 ; aj. à FEW 6/1, 456a, masticare, où ce sens manque.
◆◆ commentaire. Attesté en français dep. 1833 (« vous voulez, comme on dit à la caserne, que nous fassions un mâchon soigné » P. Borel [originaire de Lyon], Champavert. Contes immoraux, Frantext). Dérivé sur fr. pop. mâche "action de manger (avec excès)" (dep. Trév 1743, source qui donne à penser que ce sens de mâche est peut-être lui aussi d’origine lyonnaise), lui-même de fr. pop. mâcher "manger beaucoup et avec avidité" (dep. Fur 1690 ; déjà mascher "manger" dep. 1577, FEW)a. Diffusé à partir de Lyon dans sa zone d’influence, mâchon conserve un caractère spécifiquement lyonnaisb – comme l’indiquent les dictionnaires généraux contemporains qui l’accueillent (Ø GLLF) :
Rob 1985 « régional (Lyonnais) » ; TLF « région. (Lyonnais) » et fam. ; NPR 1993-2000 « à Lyon » –, même si tel exemple, dans le même temps, plaide pour une relative dérégionalisation
en cours : « Le traditionnel “machon [sic] campagnard” de l’amicale laïque de Champagney [Haute-Saône] se déroulera le samedi 15 mai à partir
de 20 h 30 à la salle des fêtes de la commune » (Le Petit Messager. Le journal gratuit du canton de Champagney 32, mai-juin 1999, n.p.). Un élément pour apprécier cette dérégionalisation est fourni
par les noms de restaurantsc et de bars comportant mâchon/machon d’après Minitel 1999 (on ne peut rien dire de l’absence du circonflexe dans cette
source) : Paris, 3, Val-de-Marne 1, Maine-et-Loire 1 (Angers), Saône-et-Loire 1, Doubs
1, Jura 1 (Saint-Claude), Savoie 1, Rhône 3 (dont Lyon 1), Loire 1, Isère 4, Var 1
(Toulon).
a Antérieurement dans des emplois restreints comme mascher merde (1534 Rabelais) ; v. aussi, fin 15e s., « maschiés / et savourés celle matiere ! » (Recueil de sermons joyeux, éd. Koopmans, 115 ; comm. de P. Enckell).
b Mais le mot a tardé à s’imposer dans le français de Lyon, au témoignage de MiègeLyon
1937. Le terme n’a alors « qu’une vie factice » selon cette autrice, qui poursuit : « La Société des Amis de Guignol, qui travaille au maintien des traditions locales,
invite chaque année les lyonnaisants à son “mâchon annuel”. Le mot se comprend de reste. Il est naturellement répandu dans la presse locale
et porté ainsi à l’attention de chacun. Mais il reste “le mâchon des Amis de Guignol”, c’est-à-dire un terme de lyonnaisants, ou si l’on veut une manière de nom propre » ; cf. ici ex. 1
c C’est probablement de là que vient mâchon "petit restaurant" donné comme « région. (Lyon) » par Rob 1985, NPR 1993-2000 et Lar 2000, mais absent de tous les relevés régionaux.
◇◇ bibliographie. PuitspeluLyon 1894 ; Mâcon 1903-1926 ; MiègeLyon 1937 ; JamotChaponost 1975, 59 ;
EscoffStéph 1972 ; TuaillonVourey 1983 « mot dauphinois et surtout lyonnais » ; GononPoncins 1984 « ce mot lyonnais a été adopté en Forez depuis une dizaine d’années, introduit par les
journalistes du “Progrès”. Les paysans de plus de 50 ans ne l’emploient jamais » ; MartinPilat 1989 « usuel à partir de 20 ans, peu attesté au-dessous » ; TavBourg 1991 « usuel en Saône-et-Loire » ; VurpasMichelBeauj 1992 « usuel » ; VurpasLyonnais 1993 « usuel » ; RobezMorez 1995 ; SalmonLyon 1995 ; FréchetDrôme 1997 « inconnu à Saint-Gervais, globalement connu ailleurs » ; FréchetMartAin 1998 ; MichelRoanne 1998 « usuel » ; FEW 6/1, 459b, masticare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Jura, 100 % ; Doubs, Haute-Saône, Territoire-de-Belfort, 0 %.
|