mère n. f.
〈Drôme, Hautes-Alpes, Provence〉 fam.
1. la Bonne Mère loc. nom. f. "la Vierge Marie, plus précisément Notre-Dame de la Garde à Marseille".
1. Dans ma tête, je fais une prière à la bonne Mère, qu’elle me protège […]. Un cierge pour elle à la Cathédrale Sainte-Reparate de Nice,
si je m’en sors. (A. Bastiani, Panique au Paradis, 1963, 19.)
2. Paradas, qui ne croit ni à Dieu ni à diable se surprend à invoquer la Bonne Mère […]. (Y. Audouard, La Clémence d’Auguste, 1986 [1985], 176.)
3. – Destoussi, c’est pas seulement un vandale, c’est un assassin ! Je le jure sur la Bonne Mère ! (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 26.)
4. – Que la Bonne Mère vous protège, mes petiots !
Fine Casto prononçait toujours cette phrase quand ses enfants la quittaient. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 76.) 5. C’était un brave garçon, vous savez. Il ne se droguait pas, ça, la Bonne Mère m’en soit témoin, je peux vous le jurer. (Fr. Thomazeau, Qui a tué Monsieur Cul ?, 1998 [1997], 43.)
6. Chaque été, les fidèles qui le peuvent vont en pèlerinage à Lourdes où la bonne Mère a un pied-à-terre dans une grotte humide éclairée à la bougie. (Y. Audouard, Le Sabre de mon père, 1999, 123.)
V. encore s.v. dévarier, ex. 8.
— Par méton. "statue de la Vierge, en particulier celle qui domine l’église Notre-Dame de la Garde
à Marseille". La Bonne-mère dorée sur sa colline (A. Detaille, Les Noyaux de cerises, 1978, 68).
7. C’était magique, toute cette nuit rien que pour nous. À nos pieds, Marseille s’étendait
de partout, avec ses coupoles, sa Bonne Mère, là-haut, tout illuminée […]. (H.-Fr. Blanc, Jeu de massacre, 1993 [1991], 31.)
8. Tout en haut de la basilique sacrée, ruisselante d’or sur fond de ciel, la Bonne Mère veille. C’est Notre-Dame-de-la-Garde. (Fr. Fernandel, L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 204.)
9. Avant-hier, histoire de saluer le printemps, sommes montés à Notre-Dame-de-la-Garde.
La « Bonne Mère », vierge on ne peut plus sulpicienne, dûment dorée sur tranche, surplombe la ville.
Reste que, vue de cette hauteur, Marseille mérite la grimpée. (J. Malaquais, Journal du métèque, 1997, 269.)
● Au fig. on y voit la Bonne Mère à travers loc. phrast. pop. "(pour dire d’une personne qu’elle est très maigre, d’une chose qu’elle est très mince,
d’un vêtement qu’il est transparent)".
10. – Avance. Qu’est-ce que cette robe qu’on y voit la Bonne Mère à travers ? (M. Marin, Tristes Plaisirs, 1990 [1989], 213.)
11. – Ô l’os, quel temps y fait ? / C’est le grand Bertrand qu’on appelait ainsi. D’abord,
il était si maigre « qu’on y voyait la Bonne Mère à travers ». (Fr. Fernandel, L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 219.)
■ variantes. Sous diverses variantes, l’expression s’entend ailleurs dans le Sud-est, ainsi au
Puy : « […] lorsque j’apprenais mon métier de restaurateur, mon initiatrice me laissait devant
un grand sac de pommes de terre avec pour mission de les éplucher avec un “économe” [= nom d’une marque de couteau éplucheur] : à la fin de l’opération, on devait “voir la Cathédrale à travers” les épluchures » (QuesnelPuy 1998 s.v. jour).
2. (ô/oh) Bonne Mère ! loc. interj. ou exclam., fam. "(pour marquer la joie, la surprise, la peur, la colère)".
12. – Ô Bonne Mère ! dit Ugolin terrorisé. Ne me dis pas des choses comme ça, tu m’arrêtes les raviolis
sur l’estomac ! (M. Pagnol, Jean de Florette, 1995 [1963], 866.)
13. – Hé ! petitou* ! […]
Je suis resté immobile[,] me plaquant le plus possible au sol. – Oh ! dis, bonne mère ! laisse choir, a fait son compagnon. Il avait qu’à rester là, ce fada*. (L. Malet, Sueur aux tripes, 1989 [1969], 304.) 14. – Qui je vois là ? Bonne Mère, mais c’est Julien !… (J. Ferrandez, Arrière-pays, 1982, 12.)
15. Nous n’arrêtions pas de tourner et de retourner le disque. Plein volume. Honorine
craqua.
– Bonne mère ! Mais vous allez nous rendre gagas ! cria-t-elle de sa terrasse. (J.-Cl. Izzo, Total Khéops, 1995, 43.) □ En emploi autonymique.
16. Il y eut une rumeur autour de la table, toutes les femmes s’exclamèrent en même temps.
Pendant quelques minutes, ce ne fut que des « Bonne Mère », « Bou Diou »*, « Peuchère »* […]. (N. Ciravégna, Le Pavé d’amour, 1978 [1975], 117.)
17. J’étais assez content de la formule. En tout cas, elle faisait son effet, si j’en
jugeais par le « Bonne Mère » qui l’accompagnait et qui ressemblait à un sifflement d’admiration. (H. Bonnier,
L’Enfant du Mont-Salvat, 1985 [1980], 318.)
V. encore s.v. pute, ex. 3.
◆◆ commentaire. Attesté dep. 1832 dans le français de Marseille (« M. Dumeurier. […] vous êtes des femmes vous autres, vous ne voyez pas où vont les extravagances.
/ Mlle Auzet. Bonne mère ! des extravagances, le drapeau blanc ! ah ! mon beau-frère, vous avez
bien changé depuis que vous fréquentez M. Anglès » J. Méry, L’Assassinat, 119, v. P. Enckell dans DDL 19) ; 1840 (« […] le fort Notre-Dame de la Garde, placé sur une grande élévation qui domine Marseille ;
c’est dans ce fort que se trouve la chapelle Notre-Dame de la Garde, vulgairement
appelée la Bonne-Mère, patronne de Marseille et des marins provençaux » Guide pittoresque portatif et complet du voyageur en France, Paris, Firmin Didot, 411) ; 1869 (« la Madone, celle que les Provençaux appellent la bonne mère » A. Daudet, Lettres de mon moulin, 21). L’emploi comme loc. interj. est le seul que répertorient les dictionnaires généraux
contemporains (Rob 1985 sans indication diatopique ; TLF « régional » ; NPR 1993-2000 « exclamation marseillaise »), bien connu dans le reste de la France (et de la francophonie) comme provençalisme
typique et emblématique et qui a valeur de cliché utilisé pour créer la couleur locale.
Les exemples littéraires de cette lexie – peut-être répandue par la prédication et correspondant à pr. bono Maire (de Diéu) –, en référence à Marseille ou à la Provence, ne manquent pas (de Zola 1871 à Japrizot
1966, dans Frantext), mais le taux de reconnaissance dans les réponses aux enqDRF indique cependant que
son usage est sans doute moins unanime dans cette région qu’on ne serait tenté de
le penser.
◇◇ bibliographie. BrunMars 1931 ; RostaingPagnol 1942, 118 ; BouvierMartelProv 1982 ; BouvierMars 1986 ;
MartelProv 1988 ; BlanchetProv 1991 ; FréchetDrôme 1997 ; ArmKasMars 1998 ; BouisMars
1999 ; FEW 6/3, 470a, mater.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (tous emplois confondus) Alpes-maritimes, Var, 80 % ; Hautes-Alpes,
75 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, 65 % ; Bouches-du-Rhône, 60 %.
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