peuchère interj.
〈Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Lozère, Ardèche, Haute-Loire (Velay)〉 fam. "(exclamation marquant la surprise, l’attendrissement, la pitié, l’admiration ; souvent
en fonction phatique)". Synon. région. ô/oh fan* !, pauvre* !
1. – Ceux de Crespin avaient voulu apporter leur vin : deux barriques de 125 litres.
Il était joli à voir, mais peuchère, un peu trop léger, ça fait qu’on le buvait comme de l’eau… (M. Pagnol, Jean de Florette, 1995 [1963], 705.)
2. […] mes chats,
Privés de leur mou peuchère, Devaient dire il exagère. (G. Brassens, « Discours de fleurs », Poèmes et Chansons, 1981, 391.) 3. – Pense-toi [= songes-y], peuchère, il n’avait pas un sou. (Fr. Fernandel, L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 28.)
4. – Combien tu dis, Albert, qu’on met en avion pour aller de Nîmes à Paris ? […]
– Peuchère ! dit Albert. Je n’en sais rien. (Y. Rouquette, La Mallette, 1994, 51.) 5. La mère Contini soupire en s’épongeant le front avec un immense mouchoir à carreaux :
– Si c’est pas malheureux, se suicider comme ça, du jour au lendemain ! […] Peuchère, qui aurait pu penser qu’il en arriverait là ? (Cl. Couderc, Le Petit, 1998 [1996], 96-97.) 6. – […] O peuchère, c’est le meilleur endroit du monde qu’il y ait ! Et en plus, on a le soleil et de
la bonne terre ! On a de quoi faire des envieux ! (G. Ginoux, Gens de la campagne au Mas des Pialons, 1997, 30.)
7. – Fais attention, Toninou, me cria-t-elle en me voyant partir seul, fais attention,
peuchère, qu’il t’arrive rien. (J.-Cl. Libourel, Le Secret d’Adélaïde, 1999 [1997], 52.)
8. « […] Tout ce qui porte un uniforme est détestable. Sauf les facteurs peuchère. » (Témoignage, dans N. Roumestan, Les Supporters de football, 1998, 196.)
V. encore s.v. brave, ex. 10 ; calu, ex. 1 ; eh bé, ex. 3 ; mener, ex. 6 ; patte, ex. 23 ; tavan, ex. 4.
— peuchère de + subst. ou pronom.
9. – C’est comme qui dirait une intellectuelle, répondit Scoumoune.
– Peuchère de toi ! C’est la pire espèce ! s’exclama Darnagas. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 158.) □ En emploi autonymique. Un soupir plein de peuchère (J.-Cl. Libourel, Les Roses d’avril, 1998 [1997], 101).
10. […] des hommes et des femmes parlaient haut avec une ponctuation de boudiou*, de peuchère, de vé* […]. (P. Gamarra, Les Lèvres de l’été, 1986, 215.)
11. Elle se tirait de ces lectures, tremblante, claquant des dents, les larmes qui ruisselaient
sur ses joues à pommettes saillantes et poussant des « Peuchère ! » à n’en plus finir. (P. Magnan, L’Amant du poivre d’âne, 1988, 162.)
V. encore s.v. eh bé, ex. 1 ; mère, ex. 16.
■ variantes. Les variantes pechère ou péchère sont moins représentées à l’écrit, mais ont les mêmes valeurs et, comme peuchère, peuvent avoir pour certains locuteurs « l’air plus poli, plus raffiné » (MichelCarcassonne) que pécaïre, qui « s’entend aujourd’hui encore dans le français parlé de Provence » (MartelBouv1988).
◆◆ commentaire. Terme emblématique du français de Provence, mais usuel également dans son voisinage
et dans le Languedoc oriental. Emprunt au provençal (pecaire "pécheur"a, dep. 1350 ; pechaire, fin 16e s., tous les deux dans Pans, v. FEW) employé dès l’aocc. comme interjection exprimant
la compassion, l’attendrissement, et correspondant à afr. pechiere (cas sujet de pecheor "pécheur"), également employé comme interjection avec cette même valeur (dep. le 13e siècle, v. TLF) ; si de nos jours, cette valeur subsiste, « le terme a principalement pour fonction de remplir les vides de l’échange, une sorte
de “et [sic] bien” » (ArmKasMars 1998). Les attestations du 19e siècle montrent que l’emprunt a été adapté progressivement : 1784 pécaïre (Beaumarchais, v. TLF) ; 1802 péchaïre (Villa), 1836 pechaire (Gabrielli), 1880 péchère (Daudet, v. FEW), 1899 peuchère (Richepin, v. TLF). Les dictionnaires généraux enregistrent le mot, mais le plus
souvent avec des exemples qui ne dépassent pas le 19e siècle (Rob 1985) ou le premier tiers du 20e siècle (TLF) ; NPR 1993-2000 « région. » ; Lar 2000 « région. (Midi) ».
a Et non pas "pêcheur", comme l’indique Rob 1985.
◇◇ bibliographie. VillaGasc 1802 « pécaïre, péchaïre » ; GabrielliProv 1836 « pécaïré ou petchaïré ! […] n’en faites pas pechaire qui est ridicule » ; 1881 « Elle était de cette bourgeoisie provençale qui traduit “Pécaïre” par “Péchère” » A. Daudet, Numa Roumestan, dans MichelDaudet ; JoblotNîmes 1924 ; BrunMars 1931 pechère, péchère ; RostaingPagnol 1942, 118 ; BouvierMartelProv 1982 ; TuaillonRézRégion 1983 pechère ; BouvierMars 1986 ; BlanchetProv 1991 ; CampsLanguedOr 1991 ; Blanchet « Notes sur peuchère […] », dans Langage et Société 61, 1992, 77-80 ; ArmanetBRhône 1993 ; FréchetAnnonay 1995 « usuel » ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 pécaïre « connu entre Anneyron et Valence, bien plus connu au sud », peuchère « usuel » ; ArmKasMars 1998 ; QuesnelPuy 1999 « se dit moins aujourd’hui » ; FEW 8, 99b, peccare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Hautes-Alpes, Gard, Lozère, 100 % ; Alpes-Maritimes, Aude
Hérault, 90 % ; Bouches-du-Rhône, 80 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Var, Vaucluse, 65 %.
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