fada, fadade adj.
〈Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Languedoc, Ardèche, Puy-de-Dôme〉 fam.
1. [En parlant d’une personne]
1.1. "simple d’esprit, qui passe à côté de la complexité du réel ; un peu fou". Stand. idiot, loufoque, simplet, fam. marteau, timbré, zinzin. Synon. région. berlaud*, bredin*, jobastre*. – Pauvre fada. Devenir fada ; rendre fada. Tu es fadade, ma pauvre vieille (M. Scipion, L’Homme qui courait après les fleurs, 1984, 28).
1. Alors ma belle*, débrouille-toi seule pour comprendre le mystère : « Pourquoi tu es venue au monde ? Pourquoi tu en partiras ? » Tu as beau réfléchir, tu restes fadade. (Th. Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 60.)
2. – Je me lave, protesta Stéphanette sous son robinet.
– […] Les cheveux, les dents, les pieds, vous n’arrêtez pas ! C’est la télévision qui vous rend tous fadas avec ses réclames. De mon temps, on se frottait les dents avec un bout de torchon et ça suffisait bien. (N. Ciravégna, Le Pavé d’amour, 1978 [1975], 66.) 3. Alors mémé Za a poussé un soupir qui a fait des vagues dans sa soupe…
– Il n’est pas fada, ce petit, il est fou. (N. Ciravégna, Chichois de la rue des Mauvestis, 1979, 47.) 4. […] Olive Blanc, reconnaissable de loin à cause de sa bouche toujours ouverte (on
disait que les végétations l’avaient rendu un peu fada) […]. Vraiment, cette bouche ouverte lui donnait l’air idiot. (H. Bonnier, L’Enfant du Mont-Salvat, 1985 [1980], 291 et 293.)
5. D’entendre ça, mémé, ça l’a rendue fadade. Complètement secouée elle a été. (F. Seguin, L’Arme à gauche, 1990, 64.)
6. – Y’a un robinet dans le couloir. On n’a qu’à le porter dessous, suggéra Nono.
– T’es fada ! Dans son état [d’ivresse], une goutte d’eau pourrait le tuer ! fit Scoumoune. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 31.) 7. – Tu m’as fait peur. Je ne te voyais pas réapparaître. Tu es fada de rester si longtemps sous l’eau, tu aurais pu te noyer ! (Cl. Couderc, Le Petit, 1998 [1996], 299.)
V. encore s.v. esquicher, ex. 7 ; jobastre, ex. 3 ; pompe, ex. 21 ; putain, ex. 4 ; stoquefiche, ex. 1.
— fada de + subst. indiquant la cause de cet état.
8. […] de le savoir là-bas, de l’autre côté de la mer à faire le santon [= perdre son
temps], ça la rendait fadade de souci. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 140.)
— En emploi subst.
9. En Provence, les simples d’esprit sont des personnages sacrés : les « fadas », les « touchés des fées » portent bonheur à tous, et nul ne songe à les tracasser. (A. Detaille, Les Noyaux de cerises, 1978, 79.)
10. Le père Laure, en chemise, dépoitraillé, écarte les bras. Une sorte de ravi* de la crèche. Il bâille. / « Regarde-le, ce grand fada », dit un des vieux. (H. Bonnier, L’Enfant du Mont-Salvat, 1985 [1980], 270.)
11. Il ne faut absolument pas confondre le fada avec l’imbécile ordinaire, le crétin absolu ou le débile profond. […] les « niais » […] ne sont ni des crétins, ni des idiots, ni des débiles profonds ou légers. Ils
ont une façon bien à eux d’exister. On ne peut pas dire qu’ils vivent au jour le jour.
Ils vivent à la seconde la seconde. Ils n’ont ni souvenirs ni projets, ce qui leur
permet de se donner tout entiers à ce qu’ils font. (Y. Audouard, Les Cigales d’avant la nuit, 1988, 51-52.)
12. À un moment, j’entends gratter à la fenêtre. Je demande qui c’est. C’était Anselme
le fada. C’était dommage, ce jeune, parce qu’il était beau, mais il était complètement gaga,
le pauvre. (R. Bouvier, Tresse d’aïet, ma mère, 1997 [av. 1992], 62.)
13. Parmi les personnages de la crèche, les Provençaux ont planté lou Ravi à sa fenêtre en carton. Ce n’est pas par hasard. […] Lou Ravi, c’est le Fada. / Celui qui a la révélation, touché par la grâce, il est le protégé des fées. Non,
je ne ferai pas l’éloge du fada de chez nous. Car il est un peu de nous-mêmes. Il porte nos espoirs, nos rêves et
probablement nos illusions et nos naïvetés. Celle de nos santons. (Fr. Fernandel,
L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 95.)
14. Longtemps, la mère de Diego a joué le rôle de fadade, quand elle stridulait sur les hauteurs pour appeler son gitan envolé. (H. Abert,
Le Saut-du-diable, 1993, 35.)
15. – […] Vous pensez que je suis un illuminé, hm ? Oh, ça ne me vexe pas. À Lambesc,
mon village natal, j’étais déjà le fada de l’école. (H.-Fr. Blanc, Démonomanie, 1995 [1993], 53.)
16. Pendant vingt-cinq ans, un « corbeau » a sévi à Peynier, un village de 2 500 habitants près d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône),
importunant au téléphone les plus vieilles familles. Celui qu’on avait fini par appeler
« le fada » a fait régner un climat de suspicion […]. (Le Monde, 2 mars 2000, 13.)
V. encore s.v. bredin, ex. 16 ; couillon, ex. 5 et 19 ; jobastre, ex. 1 et 9 ; mère, ex. 13 ; pastisson, ex. 3 ; putain, ex. 4 ; ravi, ex. 14.
● Dans une comparaison comme un fada. Stand. comme un fou.
17. – Putain de… hurla-t-il, tu roules comme un fada. J’ai eu la trouille de ma vie. (J.-Cl. Libourel, Le Secret d’Adélaïde, 1999 [1997], 62.)
■ remarques. Le terme, qui évoque particulièrement la simplicité d’esprit, comme le soulignent
bien les ex. 11 et 13, s’emploie aussi souvent « avec un sentiment d’affection bourrue » (BrunMars 1931) et « sur un ton amical ou intime » (CouNîmes 1953).
● la maison du fada, loc. nom. ("surnom populaire de la « Cité radieuse », bâtie par Le Corbusier à Marseille en 1947").
18. C’était dans le petit parc qui se trouve devant la « Cité radieuse » du Corbusier, ce blockhaus sur pilotis soi-disant connu dans le monde entier et qu’à
Marseille on appelle « la maison du fada ». Il paraît que c’est beau. En tout cas, il faudrait me payer cher pour que j’y habite.
Quoique, au fond, être dedans soit le meilleur moyen de ne pas la voir. (H.-Fr. Blanc,
Jeu de massacre, 1993 [1991], 28-29.)
□ En emploi métalinguistique.
19. – C’est la fille du pauvre Bossu ! dit Pamphile. […]
– Quel Bossu ? demanda l’instituteur. – Un fada, dit le Papet. – Pas si fada que ça, répliqua le menuisier. – Quand je dis fada, reprit le vieillard, je ne veux pas dire imbécile. Je veux dire pas raisonnable. (M. Pagnol, Manon des Sources, 1995 [1963], 899.) 1.2. En part. fada de + subst. désignant une activité ou une personne "passionné de". Stand. fam. fana de, mordu de. – C’est un fada de la pétanque. La petite, elle est fadade de Johnny (BouvierMars 1986).
2. "atteint par un handicap, paralysé (d’une partie du corps)". Jambe fadade (BlanchetProv 1991) ; œil fada (R. Frégni, Le Voleur d’innocence, 1996 [1994], 15).
20. Pour se déplacer, depuis quelque temps, il s’appuie sur une canne, maudissant un genou
« fada ». (M. Fillol, Petites Chroniques des cigales, 1998, 15.)
V. encore s.v. jobastre, ex. 3.
3. jeu de boules "qui s’éloigne de la trajectoire souhaitée (d’une boule)"a.
a « Après la guerre de 1914-1948, les sociétés boulistes se multiplièrent à Marseille
avec des noms souvent cocasses : “Les embrouilleurs”, “La boule sans souci”, “La boule fadade” » (RoubaudMars 1998, 96).
21. Deux points sur une boule fadade, il y a de quoi faire perdre le sang-froid des plus équilibrés. (Y. Audouard, Les Contes de ma Provence, 1986, 106.)
■ remarques. 〈Hautes-Alpes, Provence, Gard〉 fadoli [fadˈɔli] adj. et subst. invar. au f. "simple d’esprit, un peu fou". « – Tu entends, petit, le raisonnement de ce vieux fadoli (fou) ? » (M. Scipion, L’Homme qui courait après les fleurs, 1984, 110) ; « – Fais pas attention, elle est fadoli » (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 178). – Comme terme d’adresse « L’oncle Louis disait : ô fadoli ! le temps ne fait rien à l’affaire » (Fr. Fernandel, L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 90) ; « Un des clochards […] les interpella : – Oh jeunes ! Venez qu’on trinque à vos amours !
/ Il rampa sur le sol avec une bouteille qu’il tendit vers Moune, mais un de ses compères
bondit sur ses pieds nus et l’en empêcha : – Ô fadoli ! lui dit-il. On demande pas à une demoiselle de boire à la bouteille ! » (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 170) ; v. encore s.v. galéjer, ex. 4 ; pompe, ex. 21. – CouCévennes 1992 s.v. fada ; BouvierMars 1986 ; ArmanetBRhône 1993 ; aj. à FEW 3, 437a, fatuus.
◆◆ commentaire. Considéré comme typiquement provençal, fada est cependant d’un usage fréquent dans une aire plus vaste (sa plus ancienne prise
en compte par la lexicographie française régionale remonte à 1861, MègeClermF). Emprunt,
non adapté, à l’occitan, que FEW rattache à lat. fatuus, étymon sous lequel on doit distinguer deux types de suffixés : des formes très anciennes
(dep. 1343, TLF) suffixées sur aocc. fat avec suff. -aceu (> aocc. ‑atz), que le français a jadis empruntées (ainsi fadas(se) chez d’Aubigné et Voltaire), et d’autres suffixés plus tardifs, qui ont adopté la
terminaison du participe passé du verbe (d’où un fém. ‑ado) qui, lui, se trouve sous fata, étymon que privilégie la tradition populaire (v. ici ex. 9 et 13). Entré dans la
lexicographie générale – qui le donne comme épicène (ce qu’il est d’ailleurs dans
le français du Puy-de-Dôme) – dep. Lar 1930 (« Dans le Midi »), fada figure dans les dictionnaires généraux contemporains (GLLF « fam. et dialectal [sic] » ; Rob 1985 qui, curieusement, indique le caractère régional du mot pour l’emploi
adj. mais non pour l’emploi subst. ; TLF, NPR 1993-2000 et Lar 2000 « région. (Midi) »). Il connaît une dérégionalisation certaine (au sens 1), à laquelle a pu sans doute
contribuer l’œuvre de Pagnol au tournant des années 1930 : Frantext en donne une dizaine d’exemples, sans attaches méridionales, chez des auteurs aussi
divers que Céline (1936), Malraux (1937), Claudel (1947) et fada est enregistré dans divers dictionnaires d’argot (ChautardArgot 1931 ; VivierArgot
1934 ; SandryCarrère 1953 ; ColinArgot 1990) : autant de signes d’une certaine dérégionalisation.
◇◇ bibliographie. MègeClermF 1861 ; GrasForez 1863 s.v. fadard, fadourle ; BrunMars 1931 ; RostaingPagnol 1942, 121-122 ; CouCévennes 1953 ; ManryClermF 1956,
404 ; NouvelAveyr 1978 ; BouvierMars 1986 ; MartelProv 1988 ; BlanchetProv 1991 ;
CampsLanguedOr 1991 ; CouCévennes 1992 ; ArmanetBRhône 1993 ; FréchetAnnonay 1995 ;
MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 ; ArmKasMars 1998 ; MartelBoules 1998 ; RoubaudMars
1998, 62, 94 et 96 ; BouisMars 1999 ; ChambonÉtudes 1999, 186 ; cf. MoreuxRToulouse
2000 s.v. fadorle ; FEW 3, 433a, fata et 3, 437a, fatuus ; Gebhardt OkzLehngut 1974, 353.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Alpes-Maritimes, Aude, Gard, Hérault, 100 % ; Hautes-Alpes, 75 % ; Var, 65 % ; Bouches-du-Rhône,
60 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, 50 %. EnqCompl. 1999 : Taux de reconnaissance : (fada de) Gard, Var, 100 %. (fadoli) Hautes-Alpes, 100 % ; Alpes-Maritimes, 90 % ; Bouches-du-Rhône, Var, 80 % ; Vaucluse,
65 % ; Alpes-de-Haute-Provence, 50 %. EnqCompl. 1999. : Taux de reconnaissance : Gard, 40 %.
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