jobastre adj. et n.
〈Hautes-Alpes, Provence, Hérault (Sète)〉 fam. "qui a l’esprit dérangé, un peu fou". Stand. imbécile. Synon. région. berlaud*, bredin*, fada*.
1. Emploi adj.
1. Le Lapin c’était un fada* […]. Chaque village de Provence a sa vedette, c’est bien connu. Quarante ans environ,
grand et fort, il était presque beau. Marin de son état, il avait bourlingué sur toutes
les mers du monde, jusqu’au jour où « les nuits de Chine » l’avaient rendu « jobastre ». (P. Brun, Raimu mon père, 1980, 114.)
2. Plus vif que moi – une chance ! – Laurent a déjà planté entre eux ses trente-sept
kilos, droit sur ses ergots de coquelet. « Vous êtes pas un peu jobastres, non ? » (J. Rambaud, Les Miroirs d’Archimède, 1985 [1983], 28.)
3. Chez certains [vieillards], pourtant, il y a la tête qui lâche. Chez d’autres c’est
le chichi. Ceux que la tête les abandonne, ils ne s’en aperçoivent pratiquement pas,
mais il y en a que, de survivre avec un chichi rendu fada* par l’âge, ça les fait virer complètement jobastres. La mélancolie les gagne et le mauvais caractère. (Y. Audouard, La Clémence d’Auguste, 1986 [1985], 14.)
4. Cet homme était comme vous et moi, c’est-à-dire guère plus jobastre que la moyenne des Provençaux ; seulement, voilà, il était hanté par une idée fixe,
obsessionnelle, passionnée. Son dada, c’était la source des fontaines de Nîmes. (Fr. Fernandel,
L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 166.)
2. Emploi subst.
5. Si le sieur Z était un jobastre sans grade,
Il laisserait en paix ses pauvres camarades. (G. Brassens, « Quand les cons sont braves », 1982, dans Poèmes & Chansons, 1991, 298.) 6. La bottine de Séraphine partit en shoot de footballeur et percuta le genou de Pascal
[…]. Ils roulèrent dans la poussière entre les pieds des visiteurs.
– Boudieu [v. boudi(e), n. a] ! Mais regardez-les, ces deux jobastres ! (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 33.) 7. Marie-Louise […] doit bien avoir 35 ans, maintenant. Ses parents pensaient qu’elle
ne dépasserait pas 10 ou 12 ans, eh ben, que dalle, entre les progrès de la médecine
et le suivi sanitaire… Il y a quelques années, on aurait dit : « Vé*, c’est la jobastre ! » Aujourd’hui, on susurre : « Mon Dieu ! Regarde la petite trisomique ! » (Ph. Carrese, Filet garni, 1996, 20.)
8. – C’est les filles des HLM qui te mettent dans cet état-là ?
La gorge nouée, et encore plus nigaud que d’habitude, je fais mon innocent ! – Quelles filles ? Elle est pas dupe et me lance, d’un ton encore plus vipère : – C’est ça, caramel mou, prends-moi pour une jobastre. (Cl. Couderc, Le Petit, 1998 [1996], 104.) 9. […] alors que la France célèbre sa Coupe du Monde en juillet 98, le « Raimu » des terrains [l’entraîneur marseillais de l’Olympique de Marseille] raille les « jobastres qui courent comme des fadas* sur les Champs-Elysées ». (L’Est républicain, éd. Belfort, 26 novembre 1999, 115.)
V. encore s.v. bredin, ex. 16.
— Comme terme d’adresse.
10. Le téléphone sonna de nouveau. Darnagas bondit sur l’appareil et aboya :
– Comment as-tu eu mon numéro ? Où es-tu ? Parole ! – C’est moi, jobastre ! lui répondit la voix de Nono. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 102.) ◆◆ commentaire. Attesté dep. 1931 dans M. Pagnol (« ô jobastre ! ô imbécile ! ô idiot ! », Frantext), jobastre, privé de racines en occitan (où le correspondant et sa famille sont absents de toute
la documentation lexicographique consultée)a, est une innovation récente du français de toute la Provence. Il s’explique par la
substitution du suffixe d’origine occitane ‑astre (Ronjat, § 702), équivalent de stand. ‑âtre, à la finale de frm. jobard (dep. 1746-48, jobart, DuPineauR), de même sens (cf. Rostaing). Jusqu’à la guerre de 1939-1945, le mot paraît
peu connu, pour ne pas dire inconnu (v. le témoignage de Ch. Rostaing, ci-dessous ;
Ø BrunMars 1931) ; il n’est pas exclu que Pagnol ait contribué à son succès, si ce
n’est à sa création. Non pris en compte par la lexicographie générale et de diffusion
limitée, il est absent de plusieurs glossaires régionaux, mais il a été largement
reconnu dans les réponses aux enquêtes DRF.
a Outre la date récente du mot français et l’absence d’attestation d’un éventuel correspondant
en occitan, une dérivation sur occ. jòbi, de même sens (dep. 1785, AchardMars), est à écarter pour les raisons supplémentaires
suivantes : d’une part, le vocalisme ‑o- en prétonique (alors qu’un emprunt à l’occitan ferait naturellement attendre ‑ou) ; d’autre part, le fait que le seul dérivé connu sur jòbi, à savoir joubiàs (Mistral ; FEW 4, 428b Hiob) conserve le ‑i de la base.
◇◇ bibliographie. RostaingPagnol 1942, 122 « création récente par substitution du suffixe péjoratif ‑astre à ‑ard du français. Mistral ne cite que joubias. M. Brun n’enregistre pas le mot. J’avoue ne pas le connaître. Pagnol a dû cependant
l’entendre dans les milieux maritimes de Marseille » ; BouvierMars 1986 ; ArmKasMars 1998 ; BouisMars 1999 ; aj. à FEW 4, 428b, Hiob.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Alpes-Maritimes, 100 % ; Var, 80 % ; Vaucluse, 65 % ; Bouches-du-Rhône,
60 % ; Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence, 50 %.
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