venir v. intr.
I. 〈Nord, Côtes-d’Armor, Finistère, Centre-Ouest, Indre-et-Loire, Saône-et-Loire, Champagne,
Ardennes, Lorraine, Franche-Comté, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire, Isère,
Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales, Ariège, Haute-Garonne,
Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot, Aveyron, Lozère, Ardèche, Haute-Loire (Velay), Auvergne,
Limousin, Gironde〉 fam., vieillissant venir + adj. attribut "devenir".
1. [Le sujet désigne un animé] Elle est venue veuve (G. de Lanauve, Les Mémoires d’Anaïs Monribot, 1969, 29). On vient faible, on vient vieux (LouradourCreusois 1968). Il a venu tout blanc [ses cheveux ont blanchi] (GononPoncins 1984). Elle vient belle ta fille (M.-Ch. Baudard, La Pâture, 1986, 19). Depuis que son gamin est aux écoles, il est venu rudement fier (LanherLitLorr 1990). Mon* ! comme il est venu grand[,] votre gamin ! (Ibid.). Il est venu tout blanc [= pâle] (MazaMariac 1992). Cette petite est venue belle (ValMontceau 1997).
1. Ma Doué*, ce petit monde de rien du tout viendra fou bientôt avec* l’orgueil de la mère. (H. Pollès, Sophie de Tréguier, 1983, 66.)
V. encore s.v. pignousse, ex. de Pichavant.
— Surtout dans venir vieux. Synon. région. arriver* vieux. – Je me sens venir vieille (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 164 et 267). On n’est pas comme les fromages : on vient pas bon quand on vient vieux ! (GononPoncins 1984)a.
a Cf. encore : « C’est-à-dire qu’on vient vieux vieux, alors… faut débarrasser l’ plancher… » (Retraité du textile, Roubaix, dans F. Carton et al., Les Accents du français, Paris, Hachette, 1983, 24).
2. Les jeunes se croient tout permis, mais ils viendront vieux à leur tour, c’est la justice. (G. de Lanauve, Les Mémoires d’Anaïs Monribot, 1969, 31.)
3. Chez les Humbert, on vient pas vieux. Mon ancien a cassé sa pipe à soixante-trois ans. Il a jamais connu son petit-fils.
(J. Anglade, Un temps pour lancer des pierres, 1974, 242.)
4. Un paysan, d’ailleurs, ça se couche tôt, ça se lève tôt. Je sais pas si c’est pour
venir vieux, mais le proverbe le dit : « Jeune qui veille et vieux qui dort s’approchent de la mort ». (L. Chaleil, La Mémoire du village, 1989 [1977], 317.)
5. – […] Vous buvez une verveine, je suppose, le soir ?
– Une bourrache ! gémit-elle. Ça fait venir vieux… (P. Magnan, Le Tombeau d’Hélios, 1985 [1980], 77.) 6. – Petit, on ne vient pas aussi vieille que moi sans beaucoup d’amour mêlé à ce qu’il faut de méchanceté. (F. Rey, La Haute Saison, 1986 [1984], 361.)
7. – […] Faut venir vieille, tu vois, pour se rendre compte de ben des choses… (C. Tessier, Eugénie du Château-vert, 1988, 189.)
8. […] les plus vieux […] répétaient au petit Lauve qu’ils voulaient s’en aller, que
c’était bien triste de venir si vieux, qu’on ne savait d’ailleurs jamais vraiment si on était encore vivant ou passé de
l’autre côté. (R. Millet, Lauve le pur, 2000, 59.)
V. encore s.v. mastéguer, ex. 1.
● 〈Cher, Allier (nord-ouest)〉 rural, fam. quand on vient vieux, on vient toute espèce loc. phrast. "(pour dire que les vieillards n’ont parfois plus la maîtrise de leurs actes)".
— faire venir chèvre loc. verb. fig. "faire enrager ; excéder". Stand. faire devenir chèvre. – Tu me feras venir chèvre (MoreuxRToulouse 2000).
2. [Le sujet désigne un inanimé concret] Ce sont les artisons* qui font venir bons les picodons* (MazaMariac 1992 s.v. artison). Le temps va venir beau (MoreuxRToulouse 2000).
9. – La mule, elle est morte l’an passé et là où je l’ai enclapée [= enterrée], ça a
fait venir la terre bonne ! (J. Ferrandez, Nouvelles du pays, 1986, 28.)
10. On pratiquait autrefois dans la vigne des cultures intercalaires qui aujourd’hui ont
tendance à disparaître […]. Plusieurs variétés étaient cultivées : […] / les ails,
« plus fort [sic] que les autres, ils étaient ronds comme des oignons, ils n’avaient pas de gousse,
ils ne venaient pas si gros », étaient appelés « ails de vigne », ce terme même les différenciant des ails plantés au potager […]. (Ph. Chaudat, « Les vignerons-ouvriers de Lods et Vuillafans », dans Barbizier. Bulletin de folklore comtois, n.s., n° 16, décembre 1989, 151.)
11. Dans cette région fertile où les betteraves fourragères venaient généralement très grosses, elles étaient cette année, en raison de l’arrivée tardive
des pluies, de la grosseur de celles qu’on récoltait en année normale dans les terres
pauvres […]. (R. Langlois, Les Derniers des locatiers, 1994, 55.)
— Dans le syntagme venir vieux. Les planches venaient vieilles (L. Merlo, J.-N. Pelen, Jours de Provence, 1995, 171).
II. 〈Bourgogne, Ardennes, Lorraine, Jura (Haut Jura)〉 peu usuel venir au monde loc. verb. "naître".
12. Et si on en [des œufs] faisait couver ce jour-là [le Vendredi saint], si les poussins
venaient au monde blancs avec une ou deux taches noires, l’année suivante, ceux qui naissaient étaient
plus noirs que blancs. (R. Wadier, Conteurs au pays de Jeanne d’Arc, 1985, 437.)
◆◆ commentaire.
I. Attesté dep. le 15e siècle, accueilli dans Fur 1690, cet emploi est aujourd’hui sorti de l’usage général.
Il a été conservé, malgré la pression des puristes, surtout dans l’Est et dans la
partie méridionale de la France, ainsi qu’en Belgique (PohlBelg 1950), Suisse romande
(dep. 1406, Pierreh ; DSR), Algérie (DuclosAlgérie 1992) et dans les français d’Amérique :
Québec (Dionne 1909 ; GPFC 1930 ; DQA 1992 « fam. »)a, Saint-Pierre-et-Miquelon (BrassChauvSPM 1990 s.v. carrelet), Louisiane (GrioletLouisiane 1986). « S’il est vrai qu’il s’agit d’un emploi appartenant essentiellement à la langue parlée
et populaire, il n’en reste pas moins limité sur l’axe diatopique […]. Son absence
totale de tout dictionnaire de langue (dep. Fur 1690) constitue une véritable lacune
de la lexicographie française, si l’on considère l’aire immense sur laquelle il est
attesté » (DSR)b.
II. Locution caractéristique de certaines aires orientales de la France (et de Suisse
romande, où elle est attestée dep. 1560 à Genève, FEW)c. Si les dictionnaires généraux la présentent sans mention diatopique, les exemples
qu’ils donnent sont le plus souvent du 19e siècle (TLF, Sand 1855 et Renan 1890 s.v. monde, et Erckmann-Chatrian 1870 s.v. venir ; Rob 1985, Lamennais 1834) ou du Suisse Cendrars (TLF s.v. venir), le seul ex. que donne GLLF (s.v. venir, Sartre) comportant le mot entre guillemets.
a Particulièrement usuel au Québec dans les syntagmes venir riche, venir vieux, venir fou, ce dernier attesté dep. 1896 (FichierTLFQ).
b Il est possible qu’il s’agisse, en Bretagne, d’un calque de bret. dond + adj. (cf. Gros 1970, 2, 132 « Honnez a oa deut sod, elle était devenue folle » [littéral. : celle-là était devenue folle]).
c Elle est de quelque usage également dans l’Ain, le Rhône, la Loire, la Drôme, l’Ardèche,
la Haute-Loire, selon une communication de Cl. Fréchet.
◇◇ bibliographie. (I) DesgrToulouse 1766, 246 ; Sauvages 1785 ; SchneiderRézDoubs 1786 ; Féraud 1788 ;
VillaGasc 1802 ; MichelLorr 1807 ; JBLGironde 1823, 159 ; SievracToulouse 1836 ; AnonymeToulouse
1875 ; ReynierMars 1878 ; PuitspeluLyon 1894 ; PépinGasc 1895 ; Mâcon 1903-1926 ;
KervarecQuimper 1910, 620 ; BoillotGrCombe 1929 vnir bon ; BrunMars 1931 ; SéguyToulouse 1950 « courant tout Sud-Ouest » ; LouradourCreusois 1968, 129 ; EscoffStéph 1972 et 1976 ; BonnaudAuv 1976 faire venir chèvre ; DondaineAuth 1976, 60 ; RLiR 42 (1978), 186 (Ardèche, Isère, Savoie, Sud-Ouest,
Allier) ; MédélicePrivas 1981 « Terme très courant. Il est constant dans l’expression venir vieux » ; TuaillonVourey 1983 ; ArnouxUpie 1984 « très fréquent » ; GononPoncins 1984 ; MeunierForez 1984 ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; BouvierMars
1986 ; MartinPilat 1989 « usuel à partir de 20 ans » ; LanherLitLorr 1990 ; BlanchetProv 1991 ; CampsLanguedOr 1991 faire venir chèvre ; CampsRoussillon 1991 faire venir chèvre ; BoisgontierMidiPyr 1992 faire venir chèvre ; MazaMariac 1992 ; TamineArdennes 1992 ; DuchetSFrComt 1993 ; FréchetMartVelay 1993
« usuel » ; GagnySavoie 1993 ; GrevisseGoosse 1993, § 242 b 1° « encore courant dans le Midi et au Québec » ; TamineChampagne 1993 ; VurpasLyonnais 1993 venir vieux « connu » ; MichelNancy 1994 ; CovèsSète 1995 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement bien connu » ; RobezMorez 1995 « courant » ; GermiChampsaur 1996 ; DromardDoubs 1997 ; DSR 1997 (avec bibliographie) ; FréchetDrôme
1997 « usuel ou bien connu » ; ValMontceau 1997 « très fréquent » ; FréchetMartAin 1998 ; MichelRoanne 1998 « bien connu » ; PlaineEpGaga 1998 « encore utilisé » ; BouisMars 1999 ; MoreuxRToulouse 2000 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; FEW 14, 240b-241a, venire. – (II) LanherLitLorr 1990 ; TavBourg 1991 « naître est connu, mais senti comme littéraire et administratif » ; RobezMorez 1995 « locution usuelle partout » ; FEW 14, 240a, venire.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I.1) Ain, Ardèche, Ariège, Aveyron, Cantal, Drôme, Haute-Garonne, Haute-Loire, Lot, Tarn,
100 % ; Haute-Vienne, 85 % ; Vaucluse, 80 % ; Dordogne, 75 % ; Pyrénées-Orientales,
70 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Corrèze, Tarn-et-Garonne, 65 % ; Loire, 60 % ; Hautes-Alpes,
Alpes-Maritimes, Savoie et Haute-Savoie, Var, 50 % ; Creuse, 45 % ; Bouches-du-Rhône,
40 % ; Rhône, 30 % ; Puy-de-Dôme, 25 % ; Isère, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle,
Vosges, 0 %. (faire venir chèvre) Haute-Loire (nord-ouest), Puy-de-Dôme, 100 % ; Cantal, 90 %. (I et II) Vosges, 85 % ; Meurthe-et-Moselle, Moselle, 100 % ; Meuse, 65 %.
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