beau, belle adj. et n.
I. le grand* beau.
II. 〈Provence〉 fam. mon beau, ma belle ! loc. nom. "(terme d'adresse amical)". Stand. mon cher/ma chère, fam. mon vieux/ma vieille. Synon. région. ma nine*, ma quique*.
1. – Tu joues mal, tu joues mal… et puis d'abord, c'est un peu de ta faute, lui dis-je.
Je ne te vois jamais jouer avec les mêmes boules […].
– Hé, mon beau ! Puisque je peux pas m'en acheter, je joue avec les boules que mes partenaires veulent bien me prêter. (Otello, Les Histoires humoristiques de la pétanque, 1984, 142.) 2. L'autre [un garde-pêche] ne rigole pas.
– Vos papiers ! – Avec plaisir, mon beau ! (P.-J. Vuillemin, Les Contes du pastis, 1988, 42.) — En part. "(terme d'adresse des marchands à leurs clients)".
3. Le marchand d'olives parfumées [au marché d'Apt] est fier de son étal […]. / « Ce qu'il nous faudrait sur le marché, clame sa voisine marchande de bonbons servis avec des gants en latex, c'est des points d'eau, des bornes pour l'électricité, des toilettes. » Lancée par un quidam, une boutade fuse : « Des points d'eau, ma belle, mais t'as les fontaines ! » (Le Monde, 2 juillet 1999, 12.)
V. encore s.v. arranger, ex. 1.
□ En emploi antonymique.
4. La marchande de poisson, « la partisane » des marchés de la plaine, ou de la place de Lenche, claironnant leur « mon bon » ou « ma belle » avec des notes suraiguës, la balance romaine attachée à la taille, ou crochetée au
pouce pour peser leurs livres de 400 grammes de marchandises, ont enchanté notre jeunesse.
(A. Detaille, Les Noyaux de cerises, 1978, 40.)
III. 〈Val d'Oise, Essonne (sud), Seine-et-Marne, Orne, Indre-et-Loire, Eure-et-Loir, Loir-et-Cher,
Loiret, Aube〉 fam. avoir belle de + prop. à l'inf. "pouvoir facilement".
1. [Le sujet désigne une personne]
5. J'aurais belle de me soigner un peu mieux (Recueilli à Montlandon [Eure-et-Loir], par M.-R. Simoni-Aurembou,
MélLerond, 1991, 38.)
6. Toute seule dans sa maison, elle avait belle d'être assassinée. (Recueilli à Gaubert [Eure-et-Loir], par M.-R. Simoni-Aurembou,
MélLerond, 1991, 38.)
— 〈Champagne〉 l'avoir belle de + prop. à l'inf. "id.". Il l'a belle, lui, d'aller au cinéma : il n'a rien à faire (TamineChampagne 1993).
● À l'imparfait, avec nuance de reproche. « Pourtant, il l'avait belle de travailler, il aurait pu (ou dû) travailler » (TamineChampagne 1993).
2. [Le sujet désigne un inanimé]
7. Maintenant les bans sont à l'église 3 mois à l'avance, il [le mariage] a belle de casser. (Recueilli à Droué [Loir-et-Cher], par M.-R. Simoni-Aurembou, MélLerond,
1991, 38.)
— il y a belle loc. phrast. "on a encore le temps ; il n'y a pas de problème (pour venir à bout de quelque chose)".
8. [Dialogue avec l'ébéniste] – Est-ce que ce sera prêt dans quinze jours ? – Oh, dans
quinze jours, y'a belle ! (Recueilli à Nocé [Orne] en 1987, par M.-R. Aurembou, MélLerond, 1991, 38.)
IV. 〈Lorraine, Haute-Saône (spor.), Doubs, Jura〉 fam.
1. Adv. [Devant certains adjectifs, sert à exprimer un jugement favorable sur le contenu
de l'énoncé] Stand. bien. – Il [du linge] est beau blanc (TrouttetHDoubs 1991, 50)
9. – Il [un cochon] est beau gras ! s'exclama le Roger. Avec ça, une soupe au lard, un bon canon, j'aurais soupé,
moi. (M. Dussauze, Le Pont du lac Saint-Point, 1995, 258.)
10. Il a bien fait d' l'écarter* ici c'foin, Ricet ! R'garde voir s'il est beau sec ! (L. Semonin, La Madeleine Proust, 1990, 216.)
2. beau faire loc.adv.
2.1. [Détermine un verbe] "beaucoup, en abondance".
11. S'il y en avait beaucoup comme lui, on ne manquerait pas de prêtres, on en trouverait beau faire. (J. Garneret, L'Amour des gens, 1972 [1950], 315.)
12. La Félicie : J'ai mis une bonne soupe de pommes de terre, j'en ai mis « beau faire » pour pouvoir en retirer. (P. Jeune, « La Félicie cause au Milo », Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n° 19, n. s., octobre 1992, 323.)
— Dans la loc. verb. (en) avoir beau faire de qqc. "disposer en abondance de". J'en ai beau faire de ces pommes ! (L. Semonin, La Madeleine Proust en forme, 1984, 155). Je peux vous donner des replants* de choux… Cette année, j'en ai beau faire ! (DromardDoubs 1991).
13. Oh la la la ! J'ai un peu beau faire d'eau. Ça m' vient dans les bottes. Oh la la la, par-devant et par-derrière. (L. Semonin,
La Madeleine Proust en forme, 1984, 190.)
● En constr. impers. – Vous avez des noix cette année ? – Oh ! Y en a beau faire ! (ColinParlComt 1992).
2.2. [Détermine un adjectif] "très".
14. – Patronne ! En rentrant de faucher pour les lapins, j'ai vu que les prunes étaient
beau faire mûres […]. (M.-Th. Boiteux, Le Secret de Louise, 1996, 25.)
◆◆ commentaire. Tours non pris en compte par la lexicographie générale. II. Caractéristique du français de Provence, cette locution est prise en compte dans
les relevés régionaux de façon sporadique dep. 1931 (Brun). Son emploi est aussi « assez courant au Québec » (Comm. du TLFQ). III. Attesté en français de France dep. 1798 dans la Beauce (« Nous étions alors ensemble […] à manger du fricot dans son jardin, et nous avions
belle » L.-G. Bouscant, de Jouy-en-Josas (Seine-et-Oise), Bandits d'Orgères, d'après EsnaultArg 1965a), dep. 1868 dans l'Aube (« avoir belle, loc. adv., avoir le temps » A. Thévenot, MémAube, 388), dep. 1887 en Normandie (« avoir belle à faire qqch, avoir de la facilité à » Moisy), ce tour a été aussi relevé dans les Ardennes et la Moselle (FEW), ainsi qu'en
Belgique (avoir belle à, DelcourtBelg 1998) ; on le trouve aussi en 1925 chez Genevoix (« Les chiens ont belle de s'occuper encore » Raboliot, Frantext). Sa présence dans le français du Québec (dep. Clapin 1894 ; « t'as ben en belle de faire ça » comm. d'A. Thibault) et de l'Acadie (CormierAcad 1999 avoir en belle de) le dénonce comme un archaïsme : le tour avoir beau est attesté en ce sens dep. 1473 dans Le Mystère de la passion d'A. Gréban, v. 18991 (base MF). Son aire française actuelle est située à la périphérie
de la région parisienne, de l'Orne à l'Aube. IV. Attesté dep. 1887 en Normandie (« beau-faire, suffisamment, plus qu'il n'en faut » Moisy ; cf. « avoir une bonne affaire de, avoir une grande quantité de » DecordeBray 1852), ce tour est sans doute un archaïsme, qui n'est relevé à la fin
du 20e s. qu'en Franche-Comté (et de façon, semble-t-il, plus sporadique – en tout cas en Haute-Saône –, que ne le laissent entendre les résultats unanimes des enqDRF).
a Texte relu sur le manuscrit par M.-R. Simoni-Aurembou.
◇◇ bibliographie. (II) BrunMars 1931 ; BouvierMars 1986 ; ArmKasMars 1998 ; BouisMars 1999 ; absent de
FEW 1, 32,1 bellus. – (III) ALIFO 598*, pt 28 « (d'une chèvre) a gueule assez, on a belle de l'entendre » ; Simoni MélLerond « expression très usitée à la ville comme à la campagne au sud et à l'ouest de Paris » ; TamineChampagne 1993 ; FEW 1, 321b, bellus. – (IV) BichetRougemont 1979 ; CartonPouletNord 1991 ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; TrouttetHDoubs
1991 (1 et 2) ; ColinParlComt 1992 ; DuchetSFrComt 1993 ; JacquotChampagney 1998 ;
FEW 1, 321b, bellus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (III) Île-de-France, 60 %. (IV) Franche-Comté, 100 %.
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