mogette ou mojette n. f.
〈Loire-Atlantique (sud), Vendée, Deux-Sèvres, Vienne (sud-ouest)〉 mogette/mojette ; 〈Charente-Maritime, Charente, Aude, Dordogne (vieilli)〉 mongette/monjette au sing. à valeur collective ou au plur. usuel
1. "plante herbacée (légumineuses papilionacées) dont, selon les espèces, les gousses fraîches et/ou les graines sont comestibles". Stand. haricot. – Semer de la mojette ; ramasser de la mojette.
1. On arrache, on assemble à pleines mains les pieds des « mojettes » dont les cosses sèches et parcheminées sonnent comme du métal. On les dispose en
rangées serrées sur la berne [= drap d’aire] et le fléau entre en danse […]. (M. Richard,
Une enfance heureuse. Une enfance vendéenne, [après 1960], 65.)
2. C’était toujours avec plaisir que nous participions à ces semailles de mojettes. Les repas pris au bord de l’eau, sous les grands peupliers, à l’ombre des frênes
et des saules voisins[,] nous enchantaient. (M. Mathé, Les Sentiers d’eau. Souvenirs du Marais poitevin, 1978, 40.)
3. À l’époque, dans chaque maisonnée, on faisait son petit carré de « mojettes ». (J.-Cl. Coursaud et al., Gens du bord de Sèvre. Un certain regard sur le Marais poitevin, 1979, 34.)
4. […] chez nous, il n’y avait pas que la mogette blanche ordinaire. Nous avions toutes sortes de variétés […]. (L. Gaborit, Quand on était petits à la Tranchelardière, 1998, 102.)
5. Un concert sera donné à Saint-Hilaire-la-Palud [Deux-Sèvres] dans cette église que
l’on considère un peu comme « la cathédrale » du Marais car elle est la plus grosse église maraîchine, témoin du temps où Saint-Hilaire
la cossue vivait de la mojhette. (La Nouvelle République du Centre-Ouest, 21 juillet 1998, 3.)
— Par méton. "graine(s) de ce légume". Écosser de la mojette ; trier de la mojette ; mojette charançonnée.
6. […] café, monjettes, petits pois cassés, sardines en boîtes […]. (G. de Lanauve, Les Mémoires d’Anaïs Monribot, 1969, 284.)
7. […] marchandes assises sur de petits pliants ou des caisses en bois devant leur éventaire,
proposant quelques œufs, des fromages de chèvre, un poulet ou un lapin fraîchement
tué […], quelques poignées de mogettes, des têtes d’ail bien rondes ; le tout présenté sur des feuilles de vigne ou de châtaignier.
(R. Deforges, Blanche et Lucie, 1986 [1977], 37.)
8. Il n’est point d’authentique cassoulet lauragais [= du Lauragais, région du Sud-Ouest]
sans haricots blancs du cru. Autour de Castelnaudary, les maraîchers cultivent un
haricot long et charnu, la « mongette », qui possède l’avantage d’une peau très fine, donc perméable. (Rustica, n° 11, 21 juin 1989, 38.)
V. encore s.v. chabichou, ex. 4 ; parquet, ex. 8.
■ encyclopédie. V. L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Pays de la Loire, 1993, 187-188 ; id. Poitou-Charentes, 1994, 169-173.
2. Par méton., au sing. ou au pl. "plat à base des graines de ce légume". Stand. haricots blancs, pop. fayots. – Mettre du beurre/de la crème dans la mogette. Une fricassée de mojettes au beurre
roux (Y. Viollier, Retour à Malvoisine, 1979, 47).
9. Car cette région, simple entité administrative tiraillée par les courants centrifuges,
a paradoxalement une cuisine commune : du nord des Deux-Sèvres au sud de la Charente,
on voue le même culte à l’escargot, et les « mojhettes » sont appréciées des bords de la Vienne à ceux de la Gironde. (J.-P. du Frenne, « Poitou-Charentes. Une cuisine qui s’éteint à feu doux », Le Monde Dimanche, 25 juillet 1982, VI.)
10. – […] pendant la messe, l’autre jour, je n’ai pas pu me retenir, j’ai eu des vents…
j’avais mangé trop de mojette le matin. (Y. Viollier, La Cabane à Satan, 1982, 8.)
11. J’ai eu envie de l’embrasser lorsque j’ai vu sur la table une soupe de pain trempé
et des mogettes [en note : haricots blancs vendéens] avec une salade. Ce que j’aimais le plus. (J. Syreigeol,
Vendetta en Vendée, 1990, 108.)
12. […] la potée de mogettes qu’on laisse cuire longtemps, à petit feu, en y ajoutant régulièrement un peu d’eau.
(J. Néraud, Ma Rue, 1999, 184.)
13. […] la mogette réchauffée dans la poêle avec du beurre roussi (que c’était bon !). (L. Gaborit,
Quand on était petits à la Tranchelardière, 1998, 37.)
□ En emploi métalinguistique.
14. – […] Elle travaillait vers les Charentes à ce moment-là […]. Tous les jours de la
semaine comme elle était nourrie à midi, même menu : des haricots secs, des « mongettes » comme ils disaient là-bas. (Th. Duret, Albertine au bord des chemins, 1988, 49-50.)
15. […] les Rhétais [= habitants de l’île de Ré] ont quasiment les mêmes légumes que les
Charentais du continent : les fèves fraîches qu’ils dégustent à la croque au sel […]
et le haricot blanc, appelé ici « mojette », mitonné à la crème pour accompagner le classique gigot des jours de fête […]. (Cuisine actuelle, n° 19, juillet 1992, 60.)
— Dans le syntagme, à connotation emblématique, jambon (et) mojette.
16. Le Poiré-sur-Vie / Une manifestation bien rodée : la Nuit de la mogette aujourd’hui
/ […] Tout au long de la journée, les spectateurs pourront déguster des produits du
terroir […] surtout jambon et mogette de Vendée. Le repas aura lieu à partir de 18 h. Plus de 4 000 assiettes de jambon mogette attendront les gourmands affamés. (Ouest-France, éd. Vendée-Est, 14 août 1998, 11.)
17. Les amateurs de dégustations de grillades locales ont été comblés [à Saint-Gilles-Croix-de-Vie]
avec thon, sardines et jambon-mogettes. (Vendée-Matin/Presse-Océan, 14 août 1999, 8.)
— mogette plate loc. nom. f. "ces graines cuites à l’eau, sans assaisonnement".
18. Les Bordelais se moquent des Charentais mangeurs de mongettes plates (prononcez mo’het pi’at). (GonthiéBordeaux 1979).
19. Où sont les mojhettes plates, les cagouilles* farcies, les matelotes d’anguilles et ce fromage de brebis acheté chez la fermière ?
(Chr. Seguin, Le Tour des jours en quatre-vingts mots, 1997, 115.)
□ En emploi métalinguistique.
20. […] on doit savoir que la « monjette piate » ne décrit nullement la maigreur de cette légumineuse, mais seulement la simplicité
de sa cuisson, quand elle n’était accompagnée d’aucun corps gras. (PénardCharentes
1993, 46.)
■ encyclopédie. V. recette de « Mojhettes piates au jus » dans L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Poitou-Charentes, 1994, 169-173.
■ graphie et prononciation. L’usage n’a pas fixé la graphie et le TLF indique mogette ou mojette, formes qui ne valent toutefois que pour le nord de l’aire ; la graphie avec initiale
mon- (v. ici ex. 6, 8, 14, 18, 20) indique une prononciation des Charentes et d’Aquitaine,
tandis que la graphie mojhette (v. ici ex. 5, 9 et 19) ou moghette (v. Charente libre, 29 septembre 1998, 9) indique la fricative sonore du saintongeais que conservent
en français certains locuteurs ruraux.
◆◆ commentaire. Type lexical originaire du Sud-Ouest – emprunté au patois, lui-même dérivé sur lang. monje “moine”, monja “religieuse” –, où il est attesté avec nasalisation dep. 1626 dans le français de Castelnaudary
(« une pugnere mongettes » CaylaLanguedoc s.v. monges, l’auteur indiquant par ailleurs avoir « trouvé mention [de monges] à Clermont-sur-Lauquet [Aude] en 1565 ») ; à Saint-Maurice-des-Lions, en Charente, en 1747 (« boisseaux de mongettes, sçavoir six boisseaux de blanches et onze de rouges et noires » et en 1755 « ensemancé en bled d’Espagne et monjettes » (BoulangerConfolentais) ; en 1786 dans le Lot « les héricots ou mongetes » (Chr. Constant-Le Sturm, Journal d’un bourgeois de Bégoux : Michel Célarié, 1771-1836, 99). Dans l’Ouest, il est attesté, avec dénasalisation, dep. le 18e s., en 1762 (« un boisseau pois verts et mogettes », Comptes de l’abbaye de La Grâce-Dieu, Charente-Maritime, dans AHSA 27, 55) ; en
1794 en Saintonge « mojettes mêlée blanche et rouge » (Musset) ; en 1705-1790 mogette (ibid.). Ce type s’est imposé comme le terme français, même dans les régions où le substrat
dialectal est différent (ainsi dans le Marais vendéen où le patois a p w è z é á). Dénoncé par JBLGironde 1823, 86 (mongettes pl.), le mot est enregistré dans la lexicographie française dep. Lar 1949, et le
TLF l’indique comme un « régionalisme de l’Ouest » (mais il est absent de GLLF, Rob 1985, NPR 1993-2000 et Lar 2000).
On a tenté d’expliquer l’étymologie de mogette par une allusion au régime alimentaire des moines ou au fait qu’ils auraient propagé
ce légumea. Il s’agit plutôt d’une métaphore qui s’appuie sur la couleur des grains et leur
disposition dans la cosse, mais « cette métaphore [de nonnains dans un cloître] est bien ingénieuse pour être strictement
populaire ; peut-être est-elle d’origine argotique ou populaire : les légumes très
usuels portent souvent de telles dénominations plus ou moins facétieuses » (J. Séguy, Les Noms populaires des plantes dans les Pyrénées centrales, 1953, 311-312). Le témoignage suivant confirme indirectement l’hypothèse du savant
dialectologue : « On dit des Religieux renfermez dans leurs Couvens, qu’ils sont comme pois en gousse, mais que sitôt qu’ils en sont dehors, ils vont comme pois en pot » (Le Duchat, Ducatiana, 1738, t. 2, 450).
a On n’insistera pas sur cette autre étymologie, présentée comme une évidence : « Certains ont voulu rapporter cette appellation de “mogette” – autrement dit la “petite religieuse” – au régime alimentaire monastique qui comportait effectivement beaucoup de légumineuses.
En réalité, elle s’appliquait parfaitement à la dolique (Vigna melanophtalma DC) dont le grain s’orne en son centre d’un œil noir pouvant rappeler par sa forme
une tête de religieuse » (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Poitou-Charentes, 1994, 170). Au jeu des conjectures, l’hypothèse de CormeauMauges 1912, qui avait
d’abord supposé un dérivé sur… « Mauges », était somme toute moins farfelue.
◇◇ bibliographie. LaRochelle 1780 mogettes pl. ; JBLGironde 1823 ; PépinGasc 1895 monjette ou mongette ; ClouzotNiort 1907-1923 mojette "mongette, haricot" ; VerrOnillAnjou 1908 mogette (Vendée) ; MussetAunSaint 1932 ; SéguyToulouse 1950 monjettes pl. ; RLiR 42 (1978), 177 ; GonthiéBordeaux 1979 mongette ; DuclouxBordeaux 1980 mongettes, moungettes pl. "variété de haricots larges, genre mange-tout" ; RézeauOuest 1984 et 1990 mogette, mojette ; BoisgontierAquit 1991 monjette « vieilli » ; SuireBordeaux 1991 et 2000 mongettes ; ChaumardMontcaret 1992 mongettes pl. ; BrasseurNantes 1993 mogette ; PénardCharentes 1993 ; BlanWalHBret 1999 « très fréquent dans le sud de la Loire-Atlantique » ; MoreuxRToulouse 2000 mongette ; ALF 1593 ; ALO 267 ; ALLOc 241 ; Rézeau, « Les dénominations du haricot et du petit pois en Vendée et dans l’Ouest de la France
(en marge de la carte 267 de l’ALO) », RLiR 38, 432-443 ; FEW 6/3, 67b, monachus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres, Vendée, Vienne,
100 %.
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