montagne n. f.
I. 〈Jura, Haute-Savoie, Savoie, Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence〉 "alpage, comprenant prés et pâturages, sur lequel est souvent édifié un chalet*". Une montagne de 200 vaches (GuichSavoy 1986).
1. Pendant longtemps, la montagne de Balme avait appartenu aux gens du Tour. Puis, vers 1815, il y eut une terrible
disette, et les gens du Tour échangèrent leurs parts de montagne avec ceux des Houches, en échange de sacs de seigle, pour ne pas mourir de faim..
Tu te rends compte… donner sa montagne contre du pain noir ! (L. Tournier, Il était une fois la montagne, 1979, 51-52.)
2. Chez nous, on tondait les moutons en automne, sitôt qu’ils redescendaient de la montagne, parce que s’ils restent à l’écurie*, ils se salissent. (Témoin, dans BrussonCordon 1982, 208.)
3. […] en Beaufortin, les « montagnes » étaient naguère presque toutes des propriétés privées individuelles, leurs propriétaires,
les « montagnards », constituaient une oligarchie, voire une caste. (Pays et gens de France, n° 43, la Savoie, 5 août 1982, 10.)
4. – À la mairie, on met aux enchères les pâturages pour l’été prochain…
– Je croyais que t’avais plus de troupeau !… – Sûr, mais c’est François l’été dernier qui l’a eue, la montagne, ce mange-merde !… (J. Ferrandez, Nouvelles du pays, 1986, 4.) 5. Antoine Letellier et sa sœur, Virginie Lachenal, étaient, à égalité de parts, propriétaires
d’une montagne privée à la limite des communaux ; un assez beau patrimoine d’alpages venu à eux par héritage.
(J. Rosset, Les Porteurs de terre, 1990, 109.)
6. Le Marmeliode est une montagne assez grande de vingt et un hectares, à 1450 mètres d’altitude : elle est remarquablement
orientée. (A. Bastard-Rosset, Les Bornandises, 1996, 142.)
II. 〈Surtout Loire, Isère, Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Ariège, Aveyron, Lozère, Ardèche, Haute-Loire,
Auvergne〉 "pâturage d’altitude".
7. Le paysage se fait de plus en plus beau. Des vaches paissent par groupes de 5, 10
ou 30 : taille courante des troupeaux. Ici [dans le Cantal] le paysan ne dit pas qu’il
possède tant d’hectares, mais « une montagne », la superficie nécessaire pour faire paître ses vaches. (S. et J. Lacouture, En passant par la France, 1982, 105.)
8. La transhumance a encore de beaux jours devant elle, mais n’en a pas moins perdu et
sa forme traditionnelle et sa vocation première : la fabrication, dans les burons*, du fromage de Laguiole*. Une activité qui, il est vrai, imposait aux buronniers* une solitude de quatre mois. Aujourd’hui la plupart des bêtes gagnent le haut pays
en camion et, en mai 1989, une dizaine de troupeaux seulement participaient à la fête,
soit environ huit cents bêtes sur les quelque quarante-deux mille (vaches et veaux)
qui se sont rendues sur les trois cents « montagnes » de l’Aubrac. (Le Monde sans visa, 19 mai 1990, 17.)
9. L’herbe a été longtemps omniprésente sur ces plateaux où les éleveurs avaient fait
disparaître la hêtraie primitive. En été, les « montagnes » sont encore chargées en bêtes à viande, ce qui explique l’importance des foires de
Brion. (Itinéraires de découvertes. L’Auvergne, 1997, 46.)
10. La traite matinale terminée, Jean amena son troupeau à paître lentement autour d’une
montagne, ainsi qu’il le faisait chaque jour. (J.-P. Leclerc, D’un hiver à l’autre, 1997, 125.)
11. […] nous voici en présence d’un système original : l’habitat et l’espace agricole
se trouvent dédoublés du fait d’une utilisation estivale des landes d’altitude, qui
portent le nom de « montagnes » : Montagne de Monthiallier, Montagne des Allebasses… La pratique était ici celle
de la « petite montagne », chaque famille conduisant son bétail, vaches et moutons, sur les Hautes Chaumes
où elle possédait une jasserie*. (Le Livradois-Forez, 1998, 116-117.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident. Les pacages d’altitude qu’on appelle chez nous la montagne (J. Mallouet, Jours chiffrés, 1999, 113).
12. Tour à tour désert de neige ou désert d’herbe, la Montagne rouergate donne une impression
quelque peu trompeuse de nature vierge… En fait, la prairie n’a remplacé la forêt
qu’à la suite d’une très longue histoire pastorale car la Montagne, ce sont avant
tout les montagnes, c’est-à-dire, dans le parler local, les pâturages d’altitude enclos de murs grossiers
faits de blocs de basalte. (G. Mergoil, Le Rouergue, 1982, 159.)
13. Mais ce sont près de quarante kilomètres que les bêtes doivent parcourir pour regagner
les « montagnes », qui sont les trois cents propriétés qui divisent le plateau [de l’Aubrac]. (Randonnée 76, avril 1985, 37.)
V. encore ici ex. 15.
— 〈Auvergne〉 Dans les syntagmes montagne à graisse "pâturage où l’on mène le bétail d’embouche" (synon. région. montagne de manade, v. manade2) ; montagne à lait/de traite "pâturage où l’on mène les vaches laitières et reproductrices".
14. Aussi peut-on rouler longtemps, au-dessus des forêts, par des routes qui traversent
interminablement les « montagnes à graisse » où les belles rouges de Salers viennent faire, en juillet et août, plus de lait que
de graisse, sans prendre la moindre idée de ce qui peut s’agglomérer entre le Puy
Mary et le Plomb du Cantal, aussi longtemps qu’on n’aura pas gravi l’un ou l’autre
ou les deux. (G. Conchon, L’Auvergne, 1963, 109.)
15. Il existait deux sortes de montagnes, c’est-à-dire de pâturages d’estive. Les montagnes à lait : elles produisaient du fromage et des veaux ; et les montagnes à graisse : on y menait les mannes, les vaches stériles ou fatiguées afin de les emboucher avant de les vendre « pour la mort ». (J. Anglade, Le Pays oublié, 1982, 187.)
16. Les montagnes à lait sont devenues des montagnes à viande. Les burons* sont déserts, les pâtres disparus. (J. Mallouet, Les Jours chiffrés, 1999, 237.)
V. encore s.v. manade2, ex. 2.
□ En emploi métalinguistique.
17. On repart. Après la traversée du bourg*, on prend une petite route à droite qui monte, monte dans la montagne.
– On l’appelle la montagne, dit Adrien, parce que nous allons bientôt passer les mille mètres d’altitude. Bizarre, mais ça y [sic] est humide là-haut, l’herbe y pousse bien et les paysans d’en bas se groupent pour confier leurs bêtes à des bergers qui s’en occupent de la fin du printemps au début de l’automne. (Panazô, Le Traînard, 1994, 43.) 18. La montagne, c’est le pays élevé, mais aussi le pâturage d’été. La transformation de la montagne
en « montagnes pastorales » constitue le fond de l’histoire agraire des monts d’Auvergne. Aujourd’hui, les agriculteurs
des monts Dore n’utilisent plus intensément leurs montagnes. Elles sont souvent louées aux éleveurs cantaliens ou aveyronnais. (Itinéraires de découvertes. L’Auvergne, 1997, 43.)
19. 21 avril / Les pacages d’altitude, qu’on appelle chez nous la montagne, sont encore quasi déserts. Les bovins transhumants ne sont pas montés des vallées.
(J. Mallouet, Les Jours chiffrés, 1999, 113.)
— montagne de manade. V. manade2.
◆◆ commentaire. Emplois par restr. de fr. montagne "région de forte altitude", mal pris en compte par les dictionnaires généraux contemporains : Rob 1985 se contente
d’une allusion à « l’emploi dialectal de montagne pour "pâturage de montagne" » et GLLF ne mentionne que le premier sens (« dans les Alpes ») ; seul TLF indique les deux usages : « région. (Savoie et Suisse) » et « région. (Cantal) ».
I. Attesté dep. 1761 dans le français de Suisse romande (v. Pierreh = TLF ; DSR 1997),
cet emploi est également caractéristique du français d’une frange centre-orientale
et sud-orientale du français de France, du Jura aux Alpes-de-Haute-Provence.
II. Caractéristique d’une zone compacte du quart sud-est, cet emploi est attesté dans
le français d’Auvergne dep. 1740, pour désigner un pâturage d’altitude dans les Monts
Dore (« dans la montagne de la Monteille », Murat-le-Quaire, BullAuv 95, 71) ; un usage analogue s’observe dans l’Ariège, où
il s’agit probablement d’une création parallèle.
◇◇ bibliographie. (I) BoillotGrCombe 1910, 205b ; TuaillonSurv 1983, 21 ; DuraffHJura 1986 « usuel » ; GuichSavoy 1986 ; BessatGerMtBl 1991 ; GagnySavoie 1993. – (II) MègeClermF 1861 ; 1869 « montagnes à vacheries » (Primes d’honneur, 385) ; 1874 « On compte qu’il existe, dans les monts Dore et les monts Dôme, 400 montagnes, qui nourrissent chacune, en moyenne, 70 têtes pendant l’estive » (Primes d’honneur, 440) ; BonnaudAuv 1976 ; CampsLanguedOr 1991 ; BoisgontierMidiPyr 1992 ; Chambon
MatAuv 1994, 37 ; FréchetDrôme 1997 « attesté » ; FEW 6/3, 103a-b, *montanea.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Ø. (II) Drôme, Loire, 100 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Bouches-du-Rhône, 80 % ; Hautes-Alpes,
Cantal, 75 % ; Alpes-Maritimes, 70 % ; Ain, Ardèche, Haute-Loire, 65 % ; Isère, 60 % ;
Puy-de-Dôme, 55 % ; Ariège, Var, Vaucluse, 50 % ; Rhône, 30 % ; Aveyron, Haute-Garonne,
Lot, Tarn, Tarn-et-Garonne, 0 %.
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