faire v.
beau* faire ; faire (de l’) abonde* ; faire besoin*, faire bise* ; faire son café*, faire son compte*, faire deuil*, faire faute*, faire gentil*, faire regret*, faire du temps/le temps* ; faire vent*.
I. fam.
1. 〈Allier, Jura, Haute-Savoie, Savoie, Loire, Hérault, Aude, Lozère, Puy-de-Dôme〉 "convenir". Stand. faire l’affaire, aller, marcher. Synon. région. corder*. Emploi impers. ça fera / ça peut faire / ça finira par faire, etc. Stand. fam. ça marche, ça va. – Je voulais emmener toute la famille en voiture, mais ça n’a pas pu faire (RobezMorez 1995).
1. Et le soir au bal, elles étaient là. Seulement, moi qui ne savais pas danser […] je
leur marchais sur les pieds. Je faisais bien de mon mieux, mais ça ne pouvait pas faire. ([L. Fénix], Histoire passionnante de la vie d’un petit ramoneur savoyard, 1978 [av. 1958], 97.)
2. Au déjeuner, Baboulot se leva aussitôt après le dessert en maugréant, hagard :
– Ça peut pas faire, ça peut pas faire… – Qu’est-ce qui peut pas faire ? questionna Pejoux. – Y a que ça peut pas faire, expliqua Baboulot en sortant et en sautant sur sa bicyclette. (R. Fallet, Le Braconnier de Dieu, 1982 [1973], 199.) 3. Cousine Anne aponçait* toute la journée. Les dentellières la craignaient. Travaillant et avançant centimètre
par centimètre sur la dentelle, elle en voyait tous les défauts, même les mieux dissimulés
et ne se privait pas alors de se récrier :
– Ça ne peut pas faire, la Jeanne ou la Christiane a encore finassé, elle a chipoté [?] toute sa dentelle. (M. Fouriscot, Marie la dentellière, 1987, 100.) 4. Il eut rapidement de nombreuses pratiques. D’autant qu’il se faisait payer d’une façon
très originale qui plaisait beaucoup à ses premiers clients. Quand on lui demandait
combien on lui devait, il répondait : « Apportez-moi deux ou trois planches, ça fera… » (J.-L. Magnon, Les Larmes de la vigne, 1996 [1991], 66.)
5. Sur la table, il y avait une tige de bambou avec […] un fil qui s’enroulait sur un
petit moulin de buis taillé et, à l’autre extrémité, un crochet de fer à double dent.
Une canne à pêche.
– Alors, ça fera ? questionna Édouard en retournant vers la cheminée. (J.-Cl. Libourel, Antonin Maillefer, 1997 [1996], 41-42.) — Dans la constr. ça fera pour + subst. déterminé.
6. Le grand-père brandissait des dossiers beiges, dont les sangles pendaient. Ils étaient
vides. Il les tendit à René :
– Tiens, matru [= gamin], ça fera pour ton école. Faut pas déprofiter* la marchandise. (J.-N. Blanc, Esperluette et compagnie, 1991, 119.) 2. 〈Haute-Loire (Velay)〉 ça fera bien loc. phrast. "(pour exprimer sa démission par rapport à une situation sur laquelle on pense ne pas
avoir de prise)". Stand. tant pis.
3. 〈Saône-et-Loire, Drôme, Ardèche, Haute-Loire (Velay)〉 ne pas vouloir faire loc. verb. [En parlant d’un animal d’élevage, d’une culture] "ne pas grandir, ne pas grossir, ne pas fructifier". Cette année, les haricots ne veulent pas faire (FréchetAnnonay 1995).
7. Les volailles couvent à tort et à travers, pasqu’on les dérange tout le temps, et
les œufs […] vous donnent des poulets ou des pintarches [= pintades] que [sic] veulent pas faire. (M. Mazoyer, Les Aventures du Toine Goubard, 1982, 71.)
V. encore s.v. chetit, ex. 2.
— ça veut pas faire loc. phrast."il n’y a pas de résultat". Stand. fam. ça ne marche pas. – J’arrive pas à réussir cette mayonnaise, décidément ça veut pas faire (MazaMariac 1992). J’essaye bien de mettre ma voiture en route mais ça veut pas faire (FréchetMartVelay 1993). J’ai fait réparer cette petite pompe, si ça veut pas faire, je vais voir le marchand (FréchetDrôme 1997).
II. 〈Basse Bretagne〉 faire de l’essence loc. verb. "remplir d’essence le réservoir d’un véhicule". Stand. faire le plein (d’essence).
III. 〈Hérault, Haute-Garonne (Toulouse), Aveyron, Cantal (Aurillac), Dordogne, Lot-et-Garonne,
Gers, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques, Landes, Gironde〉 usuel faire à qqc. "jouer à". Tous les après-midis, on va faire aux cartes (LangloisSète 1991).
8. J’étais un joueur enragé, un meneur. Les camarades décidaient selon mes choix. Quand
je ne voulais pas « y faire », personne n’y faisait. (N. Calmels, L’Oustal de mon enfance, 1985, 80.)
9. Il mettait beaucoup plus d’ardeur à courir les marchés et les foires où il n’avait
d’autre occupation que de « faire aux cartes » et boire. (H. Noullet, La Falourde, 1996, 50.)
— Emploi pron. 〈Pyrénées-Orientales〉 "id.". Se faire aux boules, aux billes (CampsRoussillon 1991).
IV. 〈Provence, Gard, Hérault, Aude, Drôme, Pyrénées-Orientales, Haute-Garonne〉 usuel faire n ans "avoir son ne anniversaire". Mon frère fera cinq ans demain (CampsLanguedOr 1991). Il va faire ses quatre-vingts ans (FréchetDrôme 1997).
10. Il venait de faire quatre-vingts ans, mais il était vert, trapu, nourri d’un sang rouge. (L. Massé, Les Grégoire, 1943, t. 1, 164.)
11. Denis vient de faire huit ans, j’en ai onze […]. (Y. Rouquette, La Mallette, 1994, 26.)
— Avec ellipse de ans.
12. – Madame Perrault va bien ?
– Élise ? Sûr qu’elle va bien. Elle a fait quatre-vingt-quatre en mai. Mais vous verriez comme elle est belle ! (J. Contrucci, Suite provençale, 1996, 48.) V. 〈Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales, Ariège, Haute-Garonne (Toulouse), Tarn,
Tarn-et-Garonne, Lot, Aveyron〉 usuel se faire avec qqn loc. verb. "se lier avec quelqu’un, fréquenter". Mon gamin, il se fait avec celui du voisin (MazodierAlès 1996).
13. Moi ça ne me gêne pas de me faire avec des jeunes de la ZUP. (Témoignage recueilli en 1984 par J.-M. Marconot, « Le français parlé dans un quartier HLM [de Nîmes] », dans Langue française, n°85 (1990), 79.)
14. […] la fille de l’institutrice ne se « fait » pas avec nous. (M. Rouanet, Nous les filles, 1990, 269.)
V. encore s.v. crier, ex. 2.
— 〈Loire〉 faire avec qqn. loc. verb. "id.". Il ne m’est pas sympathique, je ne fais pas avec lui (Saint-Étienne, dans TuaillonRézRégion 1983). Ils font bien avec leurs voisins (MichelRoanne 1998).
◆◆ commentaire.
I. Sens et tours qui semblent absents des dictionnaires généraux contemporains, à aj.
à FEW 3, 347a, facere. 1. En usage à l’est et à l’ouest de Lyon, ainsi que dans les Cévennes et dans l’Aude,
aires probablement non limitativesa, ce tour n’est pas pris en compte par la lexicographie générale (la complexité du
verbe faire et la difficulté à en rendre compte dans un article de dictionnaire, le fait que
le tour appartienne sans doute surtout à l’oral et, enfin, qu’il soit géographiquement
marqué, expliquent probablement cette absence) ; certains emplois québécois relevés
au 19e s. indiquent le même usageb.
II. À défaut d’une enquête d’ensemble, on peut supposer que cet emploi, emprunté au vocabulaire
de la marine (cf. faire de l’eau "se fournir en eau, faire provision d’eau"), est d’un usage nettement plus fréquent en Basse Bretagne qu’ailleurs. Mais cette
région n’en a pas l’exclusive : la locution verbale est également documentée dans
le français de la Saône-et-Loire (M. Mazoyer, Les Vacances des berthes, 1985, 140), de Picardie (R. Wallet, Portraits d’automne, 1998, 17), chez Ph. Djian, 37°2 le matin, 1985 (Frantext) et dans les Pyrénées-Orientales (comm. de Chr. Camps) ; elle est par ailleurs enregistrée
dans GLLF et Rob 1985 (sans marque, sans date et sans exemple) et il n’est pas exclu
qu’elle appartienne au fr. standard (encore qu’on peut l’estimer vieillie, J.-P. Chambon).
Elle n’est pas en usage dans le français québécois, qui dit aller mettre du gaz, de l’essence ou encore aller tinquer (d’angl. tank), comm. d’A. Thibault.
III. Attesté dep. 1659 (« À la Haye, au retour de Suede, Bregis disoit à la Reyne de Boheme, qu’il avait fait
à qui tireroit le mieux à coups de pistollet, avec je ne scay quel prince d’Allemagne,
dont il vantoit fort l’adresse » Tallemant des Réaux, Historiettes, Gallimard, Pléiade, 1961, t. 2, 405)c, dénoncé par Desgrouais et à sa suite par quelques puristes, cet archaïsme semble
cantonné aujourd’hui dans une aire compacte du Sud-Ouest, après avoir été attesté
aussi en Provence au début du 20e s. ; il est absent des dictionnaires généraux contemporains. L’emploi pron. du français
du Roussillon, est un calque de cat. roussill. se fer a, de même sens (BotetVocRoss 1997).
IV. Ce tour n’est pas documenté à date ancienne et il est absent des dictionnaires généraux
contemporains ; il est emprunté à l’occ. (cf. a fach an "locution employée à propos d’un nourrisson qui a atteint sa première année" Mistral). Son sémantisme est proche de celui du verbe dans fr. fam. « ça te/lui fait combien ? quel âge as-tu/a-t-il/elle ? ».
V. Attesté dep. 1558d, cet archaïsme, proche de fr. se faire à "s’habituer à" (dep. Corneille 1662, v. GLLF), occupe une aire diffuse, surtout languedocienne,
dans le sud de la France où il a été stigmatisé aux 18e et 19e siècles.
a L’emploi de la locution dans le français de l’Orne est peut-être un fait de discours :
« Chaque cuisinier digne de ce nom a ses pratiques issues de l’expérience, sa magie
personnelle. L’en écarter peut effectivement tout faire échouer. “Ça va pas faire”, répondait-il [le grand-père cuisinier] simplement, incapable de dire pourquoi, quand
on lui suggérait une simplification ou un raccourci, alors qu’en procédant exactement
comme lui “ça faisait” » (J.-L. Maunoury, Cènes de famille, 1999, 20-21).
b « – Q. Combien faudrait-il [pour la longueur d’un tenon solide], pensez-vous ? – R. Il
faudrait toujours pas moins que sept huit pouces ; six pouces ça pourrait faire […] », Arch. nat. du Québec, FichierTLFQ).
c Attestation due à P. Enckell, qui ajoute : « Il s’agit du comte de Brégy, d’une famille originaire d’Amiens. Dans une note de l’édition
moderne, Antoine Adam suppose que fait signifie "fait pari", mais reconnaît que l’expression lui est inconnue. »
d « Or il avoit un clerc en sa maison qui n’avoit point toutes ces considerations là :
car au bout de deux ou troys jours, estant le procureur allé disner en ville, quand
il eut avisé cette garse ainsi neufve, il commence à se faire avec elle, luy demandant dont elle estoit, et lequel faisoit meilleur, aux champs ou à
la ville » (Bonaventure Des Périers, Nouvelles récréations et joyeux devis, Paris, Champion, 1980, 49 ; comm. de P. Enckell).
◇◇ bibliographie. (I) 1. BonnaudAuv 1976 ; GononPoncins 1984 ; RobezMorez 1995 « expression courante dans le Haut-Jura, sans doute commune à d’autres régions » ; 2. QuesnelPuy 1996 « expression très employée […]. Très entendue ». 3. MeunierForez 1984 ; MazaMariac 1992 ; FréchetMartVelay 1993 ; FréchetAnnonay 1995 ;
FréchetDrôme 1997. – (III) DesgrToulouse 1766 ; VillaGasc 1802 ; BéronieTulle 1823, 343 faire aux barres ; SaugerPrLim 1825 ; AnonymeToulouse 1875 ; PépinGasc 1895 ; LambertBayonne 1928 ;
BrunMars 1931 ; MichelCarcassonne 1949, 12 ; SéguyToulouse 1950 ; MoussarieAurillac
1965 ; SallesLBéarn 1986 faire aux cartes ; BoisgontierAquit 1991 ; CampsRoussillon 1991 ; LangloisSète 1991 ; MartelBoules
1998 « ne se dit plus aujourd’hui » ; MoreuxRToulouse 2000 « semble connu de la majorité des plus de 40 ans » ; FEW 3, 347a, facere. – (IV) LambertBayonne 1904-1928 « très courant » ; BrunMars 1931 ; MichelCarcassonne 1949, 12 ; SéguyToulouse 1950 ; CampsLanguedOr
1991 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 ; MoreuxToulouse 2000 « régionalisme général et inconscient, y compris chez les jeunes » ; aj. à FEW 3, 347a, facere. – (V) DesgrToulouse 1766 se faire de ; VillaGasc 1802 ; GabrielliProv 1836 ; SéguyToulouse 1950 « courant » ; TuaillonRézRégion 1983 (Saint-Étienne) ; CampsRoussillon 1991 ; BoisgontierMidiPyr
1992 ; CovèsSète 1995 ; MazodierAlès 1996 ; MichelRoanne 1998 faire avec « bien connu » ; PlaineEpGaga 1998 « encore utilisé » ; MoreuxRToulouse 2000 « semble connu de la majorité des plus de 40 ans » ; aj. à FEW 3, 347a, facere.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (II) Morbihan et Finistère, 100 % ; Côtes-d’Armor, 65 %.
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