fillette n. f.
I. 〈Normandie〉 "mesure de contenance (5 cl) pour l’eau-de-vie".
1. Au-dessous [de la demoiselle*], pour 5 cl nous avons la fillette […]. (R. Lepelley, « Le vocabulaire de l’eau-de-vie de cidre ou calvados dans le français régional de Normandie », dans ColloqueDijon 1976, 94.)
II. 〈Surtout Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Charente-Maritime,
Indre-et-Loire, Eure-et-Loir, Gironde〉 usuel "petite bouteille, contenant environ 33 cl, destinée à mettre du vin ; par méton. contenu de cette bouteille". Deux fillettes d’Anjou (H. Bazin, La Tête contre les murs, 1949, 108). Une « fillette » d’Anjou (Le Monde, 2 décembre 1998, 23). La belle Touraine où le vin chantant pétillait dans les fillettes (R. Sabatier, Les Fillettes chantantes, 1980, 7).
2. Il débouche une fillette de 70 qu’était pas trop valeureuse [= de bonne qualité], mais faut dire que j’en
ai bu de plus pires ! (H. Bouyer, Le Populaire de l’Ouest, 10 août 1971, dans BrasseurNantes 1993, s.v. valeureux.)
3. La chaleur était étouffante. Tous deux assis sur le plat-bord de la fontaine, ils
buvaient une fillette de saint-estèphe […]. (A. Semtob, Un village nommé David, 1974, 234.)
4. Un travailleur, quoi ! Mais bon vivant, qui savait rire et vous déboucher de bonnes
« fillettes » d’Anjou, quand il vous recevait. (A.-H. Hérault, Le Valet de cœur, 1979, 31.)
5. Le garçon servait gaillardement des fillettes de vin rosé que chacun buvait religieusement, avec des signes d’approbation […].
(R. Sabatier, Les Fillettes chantantes, 1980, 155.)
6. La mise en bouteilles a lieu au cours de la première année, pour permettre aux vins
[de l’appellation Côteaux-du-Layon] de conserver leur fruité. Les « fillettes » doivent être couchées ensuite en cave fraîche où elles peuvent se conserver cinquante
ans et davantage. (R. Dumay, Guide du vin, Paris, 1985 [1983], 210.)
7. Dans cette antichambre du sacré [un jeu de boules de fort*], seule une « fillette » de rosé ou de rouge d’Anjou peut atténuer ou égayer la gravité du jeu… (Cl. Rivals,
Pierre Roullet. La vie d’un meunier, 1983, 189.)
8. Sous le genévrier accroché au-dessus de l’entrée [d’un café], son regard croisa celui
de la grand-mère Blanlœil. Elle était arrêtée sur le pas de la porte, coiffe blanche
et plate en arrière avec le beau nœud des fêtes dans le cou, les mains sur les hanches,
le regard inquiet fixé sur le prêtre. Mais le meunier lui cria :
– Une fillette pour Monsieur le Curé, une fillette de rouge. (L. de La Bouillerie, Le Passeur, 1991, 43.) 9. […] des petits pères en bleu et casquette à carreaux éclusaient des fillettes de blanc en tapant le carton. (A. de Saint-André, L’Ange et le réservoir de liquide à freins, 1994, 87.)
10. Un peu plus tard, vers ma quinzième année, Victor entreprit mon éducation œnologique
(mot inconnu de nous) avec exercices pratiques progressifs, qui avaient pour cadre
sa cave, profondément enfoncée dans le tuffeau, très fraîche, à température constante.
Les barriques s’alignaient – une douzaine – et le vin en bouteilles ou en fillettes vieillissait tranquillement, vers le fond. Armé d’un verre et d’une pipette, il convenait
de déguster progressivement quelques centimètres cubes d’abord, longuement promenés
dans la bouche, puis recrachés, tout au moins au début. Fort sérieuse, cette analyse
progressive, coupée de peu de mots, s’achevait naturellement par une fillette bien poussiéreuse, prestement débouchée (on usait d’un autre mot, plus cru) et versée
lentement. (P. Goubert, Un parcours d’historien. Souvenirs 1915-1995, 1996, 42-43.)
11. […] madame Jeannot […] ramène d’office une autre bouteille (des fillettes de trente-trois centilitres), et en remplissant nos gobelets je propose que nous
trinquions à nos retrouvailles […]. (J. Rouaud, Le Monde à peu près, 1996, 163.)
12. Les belotes ont repris : les compères se sont rabibochés et pour fêter l’événement,
Sirdaner, royal, nous a offert une cuite au muscadet des plus sérieuses. Après seize
fillettes, Amédée et Lamiral sont partis dans les bras l’un de l’autre, à minuit, pour une valse
muette sur la place. (Ph. Claudel, Meuse l’oubli, 1999, 90.)
— Prov.
13. […] ce proverbe de chez nous : / Fillettes de verre / Fillettes de peau / Vous mettent en terre / Qui les aime trop… (R. Fallet,
L’Angevine, 1987 [1982], 313.)
— Par métaph. baiser (ou verbe du même paradigme) la/une fillette loc. verb. fam. "boire le vin de cette bouteille". Si on allait se taper une « fillette » ? (Y. Brochet, Le Braco. Mémoire d’un angevin, 1997, 18).
14. Partout dans la vallée [de la Loire], on avait l’habitude, entre amis, au café, de
« baiser une fillette ». Mais il n’y a qu’à Nantes qu’on la baise « sur lie », ce qui dénote quand même une attention certaine. (Fr. Midavaine, Muscadet, 1994, 57.)
V. encore s.v. rillaud, ex. 3.
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
15. […] « Quand t’auras fini […], viens avec moi chez la Mélanie, histoire de baiser une fillette », il ne s’agissait nullement d’une incitation à détournement de mineure, mais d’une
simple invitation, une fois terminé le travail en cours, à déguster un petit flacon
de muscadet. (P. Sizaire, Le Parler matelot, 1976, 112.)
□ Dans un énoncé définitoire ordinaire.
16. « Baiser la fillette ». Cette expression couramment employée [au café] dans les villages vendéens signifie :
vider une bouteille de 33 cl de vin. Surtout, ne soyez pas choqués, car chacun ici
s’exprime exactement de la même façon. (M. Smith, Vendée, Poitou, Charentes, 1979, 110.)
◆◆ commentaire. Ces sens sont d’origine mal déterminée. Il s’agit peut-être d’une altération de mfr.
et frm. feuillette"sorte de tonneau ou mesure de liquides" (dep. 1387, v. TLF), lui-même d’étymologie incertaine, mais, du moins pour le sens
II, plus probablement d’un dérivé sur fr. fille "bouteille" (cf. demoiselle*)a, lui-même attesté dep. 1843 dans Balzac (FEW) ; à noter déjà ce texte de Charles
Estienne, De vasculis, 1535, 38 « Lugdunenses fillettam appellant quasi fideliam ; quæ duplicem pintam continet », cité dans BreghotLyon 1831, 136.
I. Emploi particulier de l’usage signalé dans SavBr 1741 (et repris textuellement par
Encyclop. 1756) : « On le dit aussi [fillette] d’une petite mesure d’étain, qui en certaines provinces de France, sert à les mesurer
[les liqueurs] pour les vendre au détail ». Non documenté à date ancienne et propre au français de Normandie, ce sens n’est
pas pris en compte par la lexicographie générale.
II. Bien implanté dans le français populaire de Paris à la fin du 19e et au début du 20e siècle (dep. 1878, Rigaud, v. TLF ; France 1910 ; SainéanParis 1920 ; aussi petite fille "demi-bouteille de vin" DelvSuppl 1883), c’est principalement dans le français de l’Ouest, en milieu rural,
que fillette est aujourd’hui d’usage courant au sens décrit ci-dessus, le plus souvent en référence
aux vins du Pays nantais, d’Anjou ou de Touraine ; mais il s’agit là d’un régionalisme
de fréquence, comme l’indiquent les attestations en dehors de cette zone (v. ici ex. 3
et 12, et s.v. pot de camp, ex. 1). Cet usage est signalé dans les dictionnaires généraux contemporains (TLF et Rob 1985
« surtout pour les vins d’Anjou » ; Lar 2000 « …et de la région nantaise »), NPR 1993-2000 le marquant « région. ». La loc. verb. joue parfois sur l’équivoque, malgré les protestations qu’on lit dans
les exemples 13 à 15 (cf. aussi l’allusion indirecte en fin d’ex. 10).
a Pour la discussion étymologique, v. en dernier lieu, Mastrelli MélWolf = TraLiPhi
33/34 (1995-96), 267 sqq.
◇◇ bibliographie. (I) LepelleyBasseNorm 1989 ; aj. à FEW 3, 517b, filia. – (II) VerrOnillAnjou 1908 ; LarGastr 1938 ; KnoppSchülArg 1979, 58 baiser une fillette (Nantes) ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; GiraudBistrot 1989 ; BrasseurNantes 1993 ;
BlanWalHBret 1999 ; aj. à FEW 3, 517b, filia.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Basse-Normandie, 50 %. (II) Deux-Sèvres, Eure-et-Loir, Vendée, 100 % ; Indre-et-Loire, 90 % ; Vienne, 80 % ;
Charente-Maritime, 75 % ; Charente, 50 % ; Loir-et-Cher, Loiret, Seine-et-Marne, Val-d’Oise,
6 sur 9 témoins.
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