pierre n. f.
1. 〈Ardennes, Haute-Marne (est), Lorraine, Alsace, Haute-Saône (est)〉 pierre à eau/d’eau, 〈Alsace〉 pierre d’eau loc. nom. f. "évier en pierre de l’habitat traditionnel". Stand. pierre à évier/d’évier. Synon. région. bassie*, dalle*, pile*. – Le trou de la pierre à eau qui débouchait devant la fenêtre de la cuisine (G. Coulon, dans Revue lorraine populaire 23, août 1978, 231). Essuyer la vaisselle près de la pierre à eau (Fr. Martin, L’Enfance retrouvée, 1989, 87). La pierre à eau de grès rouge (A. Perry-Bouquet, Des gens comme vous et moi, 1990, 222). Cuisine à pierre à eau ancienne devant la fenêtre (H. Lesigne, Un garçon d’Est, 1995, 359). Une vieille pierre à eau (G.-J. Feller, Libre enfant de Favières, 1998, 12). Vends ancienne pierre à eau, longueur 130, largeur 64 (L’Est républicain, éd. Nancy, Les annonces du particulier, 14 juin 2000, 617).
1. La cuisine [d’une ferme lorraine] était meublée par des éléments austères : buffet,
table et bancs et quelques chaises se disposaient dans la pièce alors qu’on trouvait
dans un coin de la pièce, la pierre à eau, élément monolithique et lourd qui était alimenté en eau par une pompe en fonte (dans
les lieux les plus évolués). (La Tradition en Lorraine, 1979, t. 1, 82.)
2. Heureusement, le bois ne manque pas pour se chauffer et alimente encore souvent la
grosse cuisinière de fonte de la cuisine, où la pierre à eau de granit est encore un trait typiquement vosgien. (Pays et gens de France, n° 79, les Vosges, 28 avril 1983, 12.)
3. […] les façades des maisons lorraines, la grande cuisine avec sa pierre à eau, sa pompe et la grande horloge. (J. Morette, dans G. Goulon, Une vie « d’établi », 1986, 6.)
4. On le trouva étendu dans sa cuisine entre la pierre à eau et la table sur laquelle la soupière était encore remplie de sa soupe de tous les
jours à laquelle il n’avait pas touché. (Revue lorraine populaire, n° 68, février 1986, 60.)
5. […] l’eau courante n’existait pas sur « la pierre d’eau ». Il fallait aller la chercher à la fontaine distante de 400 m. (La Revue lorraine populaire, n° 69, avril 1986, 109, lettre d’une lectrice évoquant des souvenirs d’enfance.)
6. Naturellement, on n’avait ni douche ni salle de bain. Le matin, devant la pierre à eau [en note : l’évier], faire sa toilette consistait à se frotter un peu le bout du nez avec
un torchon dont le coin était trempé dans une cuvette d’eau froide. (J. Chaudron,
Autour de la Bessotte. Souvenirs d’un enfant de Lorraine, 1994, 30.)
7. La fenêtre, seule source de lumière, est restée à la même place et a conservé les
mêmes dimensions. Mais là était l’ « âgué », mot patois remplacé aujourd’hui par évier […]. L’ « âgué » était donc la pierre d’eau, énorme bloc taillé, rectangulaire, dont un côté traversait le mur. Dans cette partie
une rigole était creusée, permettant l’évacuation des eaux. (P. Gardot et S. Mandret,
Hugier, d’une guerre à l’autre, 1999, 34.)
8. […] la pierre à eau, celle des fermes vosgiennes de nos vacances, fait un come back remarqué. « À l’heure actuelle, on les remet dans les cuisines », affirme le marnais Gaëtan Lallement, entrepreneur de démolition, qui a décidé non
seulement de sauver ce qui pouvait l’être des décombres qu’on lui commandait, mais
encore de les revaloriser. (L’Est républicain, éd. Nancy, 30 avril 1999, 602.)
V. encore s.v. rechange, ex. 2 ; verrine, ex. 1.
— Dans un jeu de mots.
9. Faut dire que le sanitaire à la ferme […] c’était vraiment le retour aux sources,
l’âge de la pierre à eau. On se débarbouillait sur l’évier avec un broc qu’on emplissait à la pompe […]. (Y. Gibeau,
Mourir idiot, 1988, 65.)
□ En emploi autonymique ou métonymique.
10. Il possède une seule pièce, mais avec une cheminée pour son fourneau à quatre marmites
et un évier : plutôt une pierre à eau, comme on dit sur « Les Dessus »* […]. (J. Lazare, L’Ami Pouchu, 1988, 102.)
11. […] l’évier, qu’elle [grand-mère] appelle sa « pierre à eau », bloc lourd, épais, profond, fait d’une espèce de granit rougeâtre tacheté de gris.
(R. Harrburger, Du pain avec du chocolat, 1995, 10.)
— Par anal. "abreuvoir en pierre".
12. Rien que la pompe, par exemple, pour emplir la pierre à eau des vaches et de la jument c’était un supplice. Elle était toute déglinguée, elle
crachait presque pas, fallait l’amorcer avec des coups à vide. (Y. Gibeau, Mourir idiot, 1988, 51.)
2. pierre à galettes*.
3. 〈Normandie, Orne (est), Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Loire-Atlantique,
Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Eure-et-Loir, Hérault, Cantal.〉
3.1 pierre de sucre, loc. nom. f. "morceau de sucre calibré, de forme parallélépipédique". Synon. région. grain* de sucre. – La vieille boîte métallique où elle garde les pierres de sucre (I. Frain, La Maison de la source, 2000, 111).
13. On distribue des tasses de thé et chacun marivaude autour des pierres de sucre. (R. Queneau, Les Œuvres complètes de Sally Mara, 1993 [1950], 29.)
14. – […] eh bien, voilà : j’ai tout fait ; sauf tuer, sauf peut-être aussi voler… Encore,
je ne sais pas. Des pierres de sucre… quand j’étais petit… (Etiemble, L’Enfant de chœur, 1971, 129 [déjà éd. 1937, 104].)
15. […] alle [sic] est forcée de mettre qu’une pierre de sucre dans son café rapport à la pénurie. (H. Boyer dans L’Éclair, 21 octobre 1974, dans BrasseurNantes 1993.)
16. Quand je me lève pour aller à l’école […]. Mon bol à moi est auprès du feu emmaillotté
de ses cendres. Il est plus petit que les autres comme il se doit, recouvert d’une
assiette pour que son contenu se tienne chaud et se trempe mieux. […]. C’est une soupe
au café […]. Avant de la recouvrir, ma mère a déposé dessus deux pierres de sucre, vous entendez ! Deux. Elles ont fondu lentement, ont pénétré le pain qui n’est pas
en tranches mais en cubes. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 391.)
17. Marie-Perrine [l’épicière] avait des pains de sucre monumentaux, en forme de cônes,
qu’il fallait casser au marteau. Le spectacle m’intéressait vivement, car il y avait
de menus éclats aperçus de moi seul, et aussi parce que je sentais tout ce que la
boîte de morceaux bien équarris – ma mère disait des « pierres » de sucre – dont se servaient à la ville mes parents avait de laidement moderne et de mesquin.
(M. Le Lannou, Un bleu de Bretagne, 1979, 20.)
18. Voici d’abord un bon fortifiant que la mère Daviaud nous a fait goûter : mettre à
macérer, pendant quarante-huit heures, treize feuilles de pervenche, une peau d’orange,
une petite cuillerée à soupe de gentiane et un litre de vin. Filtrer et ajouter trente-trois pierres de sucre qu’on aura fait fondre dans un peu d’eau. (M. Gautier et D. Gauvrit, Une autre Vendée, 1980, 129.)
19. Les gens veulent toujours avoir plus chez les autres que chez eux : deux pierres de sucre ils mettent dans leur café s’ils ne le paient pas, alors qu’ils n’en prennent qu’une
si c’est leur sucrier qui marche. (H. Pollès, Sophie de Tréguier, 1983, 15.)
20. Pendant trois jours, dans un plat en terre, sur un fourneau en tuffeau faisant corps
avec la cheminée, il [un civet de lièvre] cuisait lentement avec un litre de bon vin
rouge, puis au moment de servir, elle mettait sur le civet trois pierres de sucre, versait de la vieille eau-de-vie de vin et y mettait le feu. (Cl. Rivals, Pierre Roullet. La vie d’un meunier, 1983, 208.)
21. Pour quatre personnes il en faut un gros litre [de lait], sucré de seize pierres de sucre. (M. Rouanet, Petit Traité romanesque de cuisine, 1997 [1990], 123 [recette de l’île flottante].)
22. Il y avait aussi, soigneusement pliées* dans du papier blanc, quelques pierres de sucre, et même, parfois, un bâton de chocolat ! (P. Chaussebourg, Sur mes chemins d’écoles, 1992, 76.)
23. Il pensait retrouver son activité d’avant-guerre : il avait été de longues années
livreur, avec cheval et voiture pour le compte de la maison Griffon et Girard, énorme
entrepôt de vaisselle, verrerie, poterie en tous genres, qui approvisionnait dans
un large cercle l’ensemble du Saumurois du Sud avec une frange de Touraine et de Poitou.
Mon père livrait et prenait des commandes au pas léger (ne rien casser !) de Brillante,
sa familière jument blanche qui stoppait toujours devant l’épicerie maternelle, attendant
sa « pierre de sucre ». (P. Goubert, Un parcours d’historien. Souvenirs, 1915-1995, 1996, 29.)
24. Le café du goûter était si amer que quatre pierres de sucre l’adoucissaient à peine […]. (H. Jaouen, L’Allumeuse d’étoiles, 1997 [1996], 70.)
25. On sert aujourd’hui le café seul [sans eau-de-vie] avec, pour ceux qui en désirent,
des pierres de sucre […]. (SchortzSenneville 1998, 148.)
26. Jouant les rouleaux compresseurs [avec une bouteille], notre père écrase les morceaux
(chez nous, on dit les « pierres de sucre ») […]. (H. Gancel, Au temps de l’encre violette. L’écolier, 1999, 224.)
27. Mon ami était là, près de cette femme charmante […], qui trempait une pierre de sucre dans son cognac. (Ch. Le Quintrec, Une enfance bretonne, 2000, 274-275.)
3.2 sucre en pierres, loc. nom. m. "sucre en morceaux". Synon. région. sucre en grains*.
28. […] rien que du beau sucre en pierre [sic] de Chantenay […]. (H. Boyer dans L’Éclair, 27 septembre 1976, dans BrasseurNantes 1993 s.v. pierre de sucre.)
29. Des boîtes de sucre en pierres de Chantenay, deux grands sacs de jute contenant, l’un du sucre en poudre […], l’autre
du gros sel gris. (H. Boré, Au fil des jours, 1980, 59.)
◆◆ commentaire. 1. Attesté dep. MichelLorr 1807 (pierre à/d’eau), aussi Moselly 1907 (pierre à eau, Frantext) et, en Suisse, avec un sens un peu différent (pierre à eau "réservoir ou fontaine de cuisine" Pierreh). 3. Attesté dep. fin 19e s.-déb. 20e s. en ce sens – ainsi CormeauMauges 1912 s.v. pierre-de-sucre : « Les femmes mauges […] déclarent volontiers qu’elles aiment le café de Saint-Pierre (cinq pierres) » ; Vendée 1914, P. Rézeau HLF 1914-1945, 685 –, la lexie pierre de sucre est caractéristique de l’Ouest, de la Normandie aux Charentes (FEW) ; elle est passée,
probablement au cours du 19e s., de Normandie ou de Bretagne, à Saint Pierre-et-Miquelon où elle est toujours
attestée. Le moyen français connaissait le sens analogique de pierre "pièce, morceau", qui s’est conservé sporadiquement à l’époque moderne (ainsi BrunMars 1931 et CampsRoussillon
1991 pierre de savon) ; pierre de sucre a pu d’abord désigner le pain de sucre et les morceaux qu’on en détachait en le cassant
et connaître une aire plus large que celle aujourd’hui attestée (on le relève chez
Pourrat en 1922, Frantext ; en 1937 dans J. Rogissart, Mervale, Les Cahiers ardennais, n° 12, 37). Le sens actuel est postérieur à l’invention de
la machine à débiter le sucre en morceaux réguliers (brevet déposé en 1875, cf. Le Monde, 6 novembre 1996, 23).
◇◇ bibliographie. (1.) BlochVosgesMérFr 1921, 131 « une nouvelle expression “pierre d’eau” qui a été créée par le fr. régional où il [sic] est très usité » ; TuaillonRézRégion 1983 (Lorraine sud) ; LanherLitLorr 1990 ; TamineArdennes 1992 ;
MartinVosges 1993 ; TamineChampagne 1993 ; MichelNancy 1994 ; MartinLorr 1995 ; LesigneBassignyVôge
1999 ; cf. LengertAmiel. – (3.) MazeHavre 1903 ; MoussarieAurillac 1965 ; RézeauOuest 1984 ; LepelleyBasseNorm 1989 ;
BrasseurNorm 1990 ; BrassChauvSPM 1990 ; BrasseurNantes 1993 ; LepelleyNormandie 1993 ;
SchortzSenneville 1998 ; BlanWalHBret 1999 « en régression chez les jeunes, qui le trouvent rural » ; ALIFOms ; FEW 8, 314a, petra.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1) Vosges, 70 % ; Moselle (est), 55 % ; Haut-Rhin, 40 % ; Meuse, 30 % ; Meurthe-et-Moselle,
25 % ; Bas-Rhin, 15 %. (3) Haute Bretagne, Basse-Normandie, Deux-Sèvres, 100 % ; Vienne, 80 % ; Vendée, 75 % ;
Charente, Charente-Maritime, 0 %.
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