plier v. tr.
1. 〈Au sud d’une ligne allant de la Charente-Maritime au Jura (sud) incluant la Haute-Vienne,
la Creuse, l’Allier, la Loire, le Rhône et l’Ain〉 usuel.
1.1. [L’obj. désigne un inanimé concret] "entourer entièrement qqc. d’une matière souple (papier, étoffe) pour protéger ou transporter". Stand. envelopper. – S’il vous plaît, vous me plierez bien la brioche : c’est pour emporter loin (GononPoncins 1984). Elle plia ses lunettes dans un chiffon et les glissa dans sa poche (M. Rouanet, Dans la douce chair des villes, 2000, 45).
1. – […] Avez-vous un truc pour que j’y emballe votre matériel ?
– Non, dit Angélo, pliez tout dans une serviette et mettez un couteau. (J. Giono, Le Hussard sur le toit, 1951, 77.) 2. En cachette, vers minuit, il courut à l’étable, arracha les yeux au bélier et à toutes
les brebis du troupeau. Il les plia dans un mouchoir et, le lendemain, à la sortie de la messe, il monta sur le rocher
de la place, et se mit à bombarder toutes les filles qui passaient à coup d’yeux de
mouton. Et il riait à mourir. (F. Remize, Contes du Gévaudan, trad. F. Buffière, 1968, t. 2, 185.)
3. Donne-moi ton couteau. Je vais le plier dans un beau papier et quand tu seras plus grand tu le retrouveras avec plaisir.
(L. Amargier, Almanach de Brioude, 1971, 195.)
4. […] l’horreur dominait son chagrin et semblait même en pervertir la nature en faisant
du disparu l’objet d’une répulsion intolérable ; il y avait dans cette chose macabre
et puante qu’on était en train de plier dans un drap et d’installer sur un lit, une substitution violente que l’esprit n’avait
pas eu le temps d’admettre, ni l’oubli de tempérer. (J. Carrière, L’Épervier de Maheux, 1972, 147.)
5. Pour le sucre, on avait des boîtes d’un kilo, mais on n’en vendait pas beaucoup. On
nous demandait surtout des livres et des demi-livres qu’on pliait dans ce papier gris jaune, très dur. (Cl. et J. Jeury, Le Crêt de Fonbelle, 1981, 165.)
6. Ayant recouvré l’usage de sa langue, la fermière rattrape le temps perdu en m’inondant
d’une cascade de remerciements, tandis que son mari me plie un bon saucisson tout gris de cendre. (P. Perrève, La Burle, 1984 [1981], 75.)
7. Mame Mollard plia le paquet de café, le tendit à la cliente et tira le rideau d’un coup sec. (A. Burtin
et al., Petites histoires en franc-parler. C’est pas Dieu poss !, 1988, 16.)
8. Elle avait préparé à l’avance la monnaie nécessaire. Elle la pliait dans un petit papier en arrondissant la somme. (H. Bouchardeau, Rose Noël, 1990, 88.)
9. – On plie la pintade dans le film plastique […]. (G. Martin, cuisinier savoyard, France Info,
20 décembre 1996, 10 h 45.)
10. […] on pliait les jambons et lard dans des toiles de sac avec beaucoup de sel. (M. Massalve, Marie du fond du cœur, 1998, 154).
V. encore s.v. farçon, ex. 1.
□ En emploi métalinguistique.
11. Il y a dans la panière* la soupe et le fricot, le fromage et le dessert. Mais le pain avant tout. Il est
plié dans la serviette. J’en connais qui disent enveloppé, mais c’est un mot qui ne
me plaît pas et qui aurait fait horreur à mon père : je le trouve postier, papier
timbré et compagnie, et donc je plie mes livres le premier octobre au lieu de les couvrir, je plie la table au lieu de la lever*, je plie mon fourbi quand j’ai mis du désordre, je plie ma canne à pêche aussi bien que mes crayons et mon porte-plume… (Y. Rouquette, La Mallette, 1994, 17.)
V. encore s.v. besoin, ex. 8.
— Locution formulaire des commerçants : Je vous le plie ? Faut-il vous le plier ? "faut-il vous l’envelopper ?".
□ En contexte métalinguistique. Les commerçants de St-Etienne vous demandent toujours aussi aimablement s’il faut plier « envelopper » vos gâteaux (M. Gonon, « Latin, français et francoprovençal en Lyonnais et Forez à la fin du Moyen Âge », dans Histoire linguistique de la Vallée d’Aoste du Moyen Âge au xviiie siècle. Actes du séminaire de Saint-Pierre, 16-17-18 mai 1983, Aoste, 1985, 51). V. encore s.v. bader, ex. 5.
— Au part. passé/adj. Papiers, médailles, pliés dans un mouchoir (Chr. Dardé, Moi, Justine, enfant de l’Assistance Publique, 1992, 89). Un bon casse-croûte plié dans du papier de soie (Panazô, Le Traînard, 1994, 38). Mon casse-croûte bien plié dans mon sac (J.-Cl. Libourel, Antonin Maillefer, 1997 [1996], 48).
12. Il les [ses trésors (de vieilles photographies)] apporte pliés dans un papier journal jauni, lui aussi […]. (A. Detaille, Les Noyaux de cerises, 1978, 62.)
13. Mais, entrons dans le magasin, long, étroit, d’autant plus qu’un bon tiers de la largeur
était occupé par la grande « banque »* où l’on étalait les étoffes, mesurées avec le mètre en bois à section carrée, coupées
avec d’énormes ciseaux, enveloppées (pliées, disait stéphanoisement ma mère) dans un grossier papier d’emballage marron […]. (M. Bailly,
Le Piosou, 1980, 80.)
14. Dans le grand compartiment [d’un cartable d’écolier] destiné aux vivres, ma mère rangea
deux tranches coupées dans le pain de quatre livres et enduites de pâté de cochon,
collées l’une à l’autre et soigneusement pliées dans un torchon propre, une petite bouteille à Quintonine remplie de piquette et
deux barres de chocolat Menier. (R. Saizeau, La Mère à la piarde. Mon enfance paysanne, 1985, 18.)
15. On m’avait envoyé une truffe : entourée de papier alu, pliée dans trois épaisseurs de carton, elle avait embaumé pourtant toute la cage d’escalier.
(M. Rouanet, Bréviaire, 1994 [1987], 29.)
16. Le fromage de brebis […]. Plié dans des feuilles de noyer […]. (G. Bordes, Le Porteur de destins, 1999 [1992], 104.)
17. […] je l’ai caché [le revolver] avec le reste dans notre cave, plié dans un chiffon […]. (R. Frégni, Le Voleur d’innocence, 1996 [1994], 241.)
18. Les enfants prirent un petit sac de toile où était plié un gros morceau de tourte* graissée [= tartinée] de grillons* ou de pâté de foie (P. Louty, Léonard, le dernier coupeur de ronces, 1995, 86.)
19. On met une poule de 2 kg à fond de marmite avec 1 kg de paleron, 1 kg de plat de côtes,
1 kg de queue de bœuf coupé en quartiers et un os à moelle plié dans un linge fin, pour que le parfum se diffuse lentement. Le tout doit cuire environ
une heure. (J.-P. Leclerc et Fr. Panek, Contes et recettes des pays d’Auvergne et d’Aveyron, 1996, 35.)
20. C’était le 31 décembre au soir, le paquet de gâteaux était soigneusement plié. Le voisin et l’infirmière à domicile qui le soignait ce soir-là avaient partagé les
pâtisseries. Ils ont tous les deux été sauvés du coma le lendemain. (Libération [du correspondant de Lyon], 9 janvier 1997, 14.)
21. Du coffre il tire ses outils, pliés dans des lambeaux d’étoffes grasses, entre chemise et linge. (G. Rey, Le Sac à musique, 1997, 73.)
— En part.〈Charente, Allier, Puy-de-Dôme, Creuse, Haute-Vienne, Dordogne (nord), Bordeaux〉 "recouvrir (de papier, d’une feuille de plastique, etc., la couverture d’un objet broché
ou relié, pour la protéger)". Plier un livre, un cahier. Stand. couvrir. – À la rentrée, les enfants « plient » leurs livres neufs (SabourinAubusson 1983). « Tu pourras m’aider à plier mes livres ? » (17 ans, Clermont-Ferrand, septembre 1995).
22. « Plier un livre », c’était, pour nos ouvrages scolaires, les recouvrir d’un papier bleu foncé, muni
en haut et à droite d’une étiquette blanche indiquant le nom puis le prénom de l’élève
qui possédait l’ouvrage. (PénardCharentes 1993, 100.)
23. « Vous plierez votre livre et il faudra prendre soin de vos “affaires”. Je ne veux pas voir de crayon rongé par les souris. N’oubliez pas le chiffon pour
nettoyer votre ardoise… » (P. Louty, Léonard, le dernier coupeur de ronces, 1995, 48.)
V. encore ici ex. 11.
1.2. [L’obj. désigne un animé ou une partie du corps] "entourer d’un vêtement pour protéger du froid". Stand. emmitoufler, envelopper.
24. Une de mes tantes […] préparait et chauffait le drap dans lequel elle allait me plier. (N. Calmels, L’Oustal de mon enfance, 1985, 27.)
25. L’agneau vient de sortir de la brebis. Je le plie dans mon tricot pour le porter jusqu’à la bergerie. Il tremble dans mes bras, comme
tremble la lumière au revers des feuilles. (M. Rouanet, Bréviaire, 1994 [1987], 33.)
— Emploi pron.
26. Elle s’était fait un chignon haut, plié la tête dans un foulard pour protéger sa coiffure des branches et des buissons […].
(M. Jeury, Le Vrai Goût de la vie, 1989 [1988], 130.)
● Emploi pron. absolu 〈Pilat (Loire)〉 "se couvrir le visage, s’emmitoufler". Avec cette bise, il faut bien se plier pour ne pas attraper froid (MartinPilat 1989).
— Au part. passé/adj.La tête pliée dans un gros fichu noir (M. Chaulanges, Le Roussel, 1972, 35).
27. La Louise fermait la marche, elle était pliée dans son grand châle jeté sur ses épaules par-dessus son manteau. (S. Lavisse-Serre,
Les Locatiers de Beauvoir, 1998, 67.)
V. encore s.v. drapeau, ex. 7.
■ prononciation. 〈Isère, Drôme, Ardèche (nord)〉 [plwaje].
2. 〈Provence, Languedoc occidental, Lot, Aveyron〉 usuel "rassembler et mettre en ordre (qqc.)". Stand. ranger.
28. À midi pile, on pliait livres et cahiers. Une courte prière, et nous voilà dans l’escalier qui descend au
réfectoire pour le dîner*. (N. Calmels, L’Oustal de mon enfance, 1985, 164.)
30. Certains après-midi l’instituteur nous fait plier livres et cahiers et nous entraîne au-dehors dans le but de nous faire prendre un
peu d’exercice. Cela se traduit par une séance de gymnastique pas trop astreignante,
un cent mètres individuel couru sur la route […]. (J. Roger, Le Fils du curé, 1998, 69.)
— 〈Charente, Allier, Puy-de-Dôme, Hérault, Corrèze〉 plier ses affaires loc. verb. "rassembler et mettre en ordre les objets servant régulièrement à une activité" ; en particulier (écoliers, lycéens) "rassembler et ranger dans un cartable ou un sac, les livres, les cahiers, etc.".
31. « Plier ses affaires » : les ranger convenablement. L’ordre régnait alors, dans tous les sens du mot, surtout
dans les milieux modestes. (J. Pénard, Parlers de ma famille. Souvenirs d’une enfance dans les deux Charentes, 1993, 100.)
— 〈Languedoc, Lot, Aveyron〉a plier la table "enlever et ranger (ce qui reste sur la table après le repas)". Stand. débarrasser, desservir. Synon. région. lever*.
a Plier la table est relevé dans PomierHLoire 1835, sans continuateur connu moderne.
32. […] la salle à manger où les trois enfants iraient « plier » la table […]. (G. J. Arnaud, Les Moulins à nuages, 1988, 248.)
□ En emploi métalinguistique.
33. Je n’ai jamais cherché à corriger mon père et ma mère des hypercorrections ou des
occitanismes de leur langue parlée. Tout ça me plaisait bien. J’aimais quand ma mère
pliait mes livres de papier bleu, quand elle me demandait de plier la table, c’est-à-dire de ranger les couverts […]. (Y. Rouquette, « Histoires de parler », dans Toulouse, 1991, 144.)
V. encore ici ex. 11.
● 〈Puy-de-Dôme, Landes, Gironde (Bordeaux)〉 fam. "finir, terminer". C’est plié (GonthiéBordeaux 1979)a.
a Cf. MoreuxRToulouse 2000 : « Actuellement le mot se répand dans le langage des chroniqueurs sportifs avec le sens
(dérivé de “ranger”) “finir”. […]. C’est plié […] “c’est fini ; l’issue du match ne fait plus de doute” ». Cf. « […] une césarienne de convenance est aussi le fait du médecin. “Parce que, admet crûment l’un d’eux, c’est plié en une demi-heure. On n’y passe pas la nuit” » (L’Express, 27 novembre 1997, 27, cité d’après Golf 106, n° 2019) ; « À quatre heures du matin, tout était plié » (Fr. Thomazeau, Qui a tué Monsieur Cul ?, 1998 [1997], 20) ; « Le Danemark face au Nigeria ? Deux buts en onze minutes, affaire pliée » (P. Georges, dans Le Monde, 30 juin 1998, Supplément, I) ; « Les anguilles, il leur coupe la tête et la queue, paf, paf ! fini, plié » (Chr. Nicolas, Dehors et pas d’histoires, Paris, 1998, 105) ; « Le premier ministre aime en effet donner le sentiment que ses arbitrages sont le résultat
de discussions collégiales, où tous les ministres doivent pouvoir donner leur avis.
Jusqu’alors, la règle avait été respectée. Rien de tel, cette fois-ci. “Tout était déjà plié”, reconnaît un directeur de cabinet » (Le Monde, 16 septembre 1999, 6) ; « Si on n’avait pas fait toute cette sarabande, confie un des conseils de Jaffré [PDG d’Elf-Aquitaine], tout aurait été plié dès juillet, comme Total l’avait rêvé » (Le Point, 17 septembre 1999, 38) ; « […] en trois jours, c’était plié, et, hop […] salut, bye-bye […] » (J.-B. Pouy, Larchmütz 5632, 1999, 188) ; « En quarante minutes à peine, l’affaire [l’inauguration d’une plaque commémorative]
était pliée. Une seconde poignée de main, en passant, au maire de Paris et le président [de la
République] est parti » (Le Monde, 20 septembre 2000, 11).
34. La partie [de belote] reprend, sérieuse cette fois… Le quinze cents est vite plié, comme il se doit, gagné par les adversaires de Nanar. (J. de Bougues-Montès, Chez Auguste. Histoires truculentes et vraies du Bassin d’Arcachon, 1982, 160-161.)
35. – Ça suffit pour aujourd’hui, fit-il, le souffle court.
– Dis donc, tu t’es pas amusé ! – J’étais pas là pour ça. – A ce train, tu auras terminé demain ! – Dans l’après-midi, ce sera plié. (J.-P. Leclerc, Les Brûlures de l’été, 2000, 30.) 3. 〈Gard, Hérault, Lozère〉 plier les bras loc. adv. "croiser les bras"a.
a V. GabrielliProv 1836 : Ne reste pas là les bras pliés. « Rare aujourd’hui [en Provence] ; on ne peut plus le considérer comme vraiment vivant » (comm. pers. Cl. Martel).
4. 〈Surtout Calvados (ouest), Manche (nord, centre), Côtes-d’Armor, Finistère (est)〉 pain plié loc. nom. m. "pain rustique dont le pli supérieur se détache légèrement lors de la cuisson".
36. Le pain plié possède une forme et un aspect extérieur très caractéristiques qui sont dus à une
mise en forme manuelle originale. Depuis des générations, il se fabrique vers Morlaix,
Tréguier, Paimpol, Binic, Guingamp, Bourbriac et Callac. (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Bretagne, 1994, 68-69.)
— Par ellipse.
37. […] le « petit plié » ou le « gros plié », une pâte retournée sur elle-même. Ce pain est une merveille – croustillant sur l’extérieur
et mie aérienne. (L’Express. Le Magazine, 26 mars 1998, 35 [Reportage sur une boulangerie du Vast, Manche].)
■ synonymes. « Le pain plié, appelé également “pain de Morlaix” ou “pain bossu”, se fabrique dans une large zone qui s’étend tout au long de la Manche » (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Bretagne, 1994, 69). V. encore L. Poilâne, Le Guide de l’amateur de pain, 1981, 162.
■ encyclopédie. V. L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Bretagne, 1994, 68-70.
◆◆ commentaire. Le particularisme sémantique 1. est très vivant dans toute la moitié sud de la France (« très courant »/« usuel »/« bien connu » d’après NouvelAveyr 1978 ; MédélicePrivas 1981 ; CampsLanguedOr 1991 ; VurpasMichelBeauj
1992 ; BoisgontierMidiPyr 1992 ; VurpasLyonnais 1993 ; BlancVilleneuveM 1993 ; FréchetMartVelay
1993 ; GagnySavoie 1993 ; MoreuxRToulouse 2000 « régionalisme inconscient ») ; ceci est confirmé par la mention d’un usage souvent jugé « inconscient » (TuaillonVourey 1983 ; GononPoncins 1984 ; DuraffHJura 1986 ; DucMure 1990 ; GagnySavoie
1993)a. Les enquêtes 1994-1996 montrent également une forte vitalité des emplois déclarés
soit, par ordre décroissant, de 100 % à 20 % de « connu » ou « employé » : Midi Aquitain, Auvergne, Roussillon, Limousin, Région Rhône-Alpes, Provence, Languedoc
Oriental. Bien que largement répandub et bien vivant, 1. est tardivement signalé comme un régionalisme par les dictionnaires du français général
(Rob 1961-1985 ; TLF) et n’est relevé que dans la deuxième moitié du 19e s. dans les dictionnaires régionaux : en 1879, Vayssier stigmatise l’emploi de plier dans le sens d’"envelopper" (ChambonVayssier 1879) ; v. encore la métalangue de Béronie s.v. cubertin et poulo sens os, ou encore s.v. pledzá : « je pourrai plier dans une feuille de persilc ce qui me reviendra de cette succession », BéronieTulle 1823 ; v. encore OffnerGrenoble 1894. Pourtant le régionalisme plier un enfant "envelopper un enfant d’un lange ou d’un maillot", chez Montaigne (FEW), laisse supposer, dès le 16e s. un usage ancien : voir déjà en français de la haute Marche au 15e s. (date des mss ; comp. 1re moit. 15e s.) dans G. Meyer (éd.), Die altfranzösische Vita der heiligen Valeria, Heidelberg, 1987, v. 58 (« En ung sandaul estoit ployé ») et 76 (« En ung tresbon drapt estoit pliee » ; var. environnés dans le second ms.) [dans les deux cas du corps d’un saint] et aussi Le Puy 1609
[…] la relicque plyée avec ung papier (MémBurel, 501)d. La tradition occitane est, pour sa part, très ancienne (aocc. plegar "empaqueter" dep. 13e s., Lv) et se perpétue jusqu’à l’époque contemporaine, bien que de façon sporadique,
dans toute l’aire méridionale (1723, plegá d’argen au bou de son mouchoir (PellasAix 1723) ; occit. plegá "envelopper (dans un linceul)", se plegá "s’envelopper" (tous les deux Mistral) ; Lozère plegá "envelopper, emballer" (EscoloGév 1992), cf. desplegá "défaire (un paquet)" (ALLo 1752, FEW) ; Arconsat plejer "envelopper" BecquevortArconsat 1981 ; QueyratChavanat 1930 plejá "envelopper" ; les attestations sont plus tardives dans l’aire francoprovençale (1729, stéph.
pleyie "envelopper", StrakaPoèmesStÉt 1964 ; frpr. plaji lo mor ALLy 1048 "ensevelir"). En occitan, cependant, le sens "envelopper" paraît secondaire par rapport à "remettre en ordre, ranger" (cf. 2) qui est dominant (outre le sens "rabattre sur elle-même une matière souple", commun à l’occitan et au français).
Sans tradition lexicographique dans le français général (à l’exception de Cotgr 1611
qui signale "to wrap up" s.v. plier, et dont la source pourrait être méridionale) et en regard des premières attestations
au 19e s. dans des traductions (Béronie ; Vayssier), le sens d’"envelopper" paraît être un emprunt sémantique à l’occitan. On peut faire l’hypothèse, en se référant
à Montaigne et Cotgrave, d’un particularisme implanté dès le 16e s. en français, dans certains emplois peu courants. La locution plier un livre paraît curieusement suivre, de Bordeaux à l’Allier, la frontière entre les domaines
d’oc et oïl. Elle est très vivante et, le plus souvent, d’usage inconscient. Au plan
dialectal elle est attestée sporadiquement (auv. plejer "recouvrir (un livre ou un cahier)", BecquevortArconsat 1981), on ne peut pourtant en déduire mécaniquement l’influence
du substrat sur cette formation. Comme le particularisme sémantique 1. est très bien implanté, notamment en Auvergne, Marche et Limousin, plier un livre a de fortes chances d’en être un développement particulier.
2. est centré sur la Provence, les régions du Languedoc occidental et Languedoc oriental
où il est également très vivant (respectivement 75 % et 100 % de « connu » ou « employé » dans les enquêtes DRF), cf. SéguyToulouse 1950 ; CampsLanguedOr 1991 ; BoisgontierMidiPyr
1992 ; MoreuxRazouToulouse (à paraître) ; on relève plus spécialement plier ses affaires aux marges nord de l’aire d’emploi de 1.Le sens 2 est relevé dans les dictionnaires du français général depuis un siècle (Ø marque :
Littré 1869 ; Guérin 1892 ; GLLF 1976 ; « région. » TLF ; « région. » pour l’emploi « dans les écoles » Rob 1961-1985 ; « fam. » NPR 1993-2000)e, et un siècle plus tôt dans les cacologies (DesgrToulouse 1766-1801 : pliez tout cela ; VillaGasc 1802 ; SievracToulouse 1836 ; ReynierMars 1878). Fr. ployer "ranger (pour emporter avec soi)" apparaît pourtant dans les Mauges dès le 16e s. (Noël 1520, MélMartin 1997, 352), mais cet emploi reste isolé. En revanche, en
occitan, la tradition de cet emploi est continue du 13e s. aux dialectes modernes : aocc. plegá "ramasser, ranger, remettre en ordre" (Lvf ; CConsAlbi ; DobelmannCahors), occ. plegá "serrer, emballer" Mistral ; aveyr. plegá "serrer un objet, le remettre dans son étui, à sa place, fermer un moule" (VayssierAveyr 1879), gévaud. plegá/-jar "ranger" (EscoloGév 1992). Séguy voit dans l’emploi régional un simple calque (SéguyToulouse
1950, 67), et il est vrai que l’emprunt sémantique à l’occitan rend bien compte de
la filière historique de l’usage français ; pour ce qui est du processus lexico-sémantique
en occitan on peut, plus précisément, y voir un hypallage construit sur le sens initial
"rabattre sur elle-même une matière souple, la replier", le compl. d’obj. désignant l’objet qu’on enveloppe et non la matière enveloppante.
En 2., la métonymie joue sur l’antécédence du procès (métalepse) : on passe de 1. à 2. parce que l’on "ramasse, assemble" avant de "plier". L’emploi bordelais c’est plié "c’est fini", après s’être répandu dans le domaine de la chronique sportive, gagne aujourd’hui
d’autres secteursg ; actuellement en faveur dans les médias, cet emploi est un exemple significatif
de l’interaction entre particularismes géographiques et niveaux de langue.
La locution plier les bras (3.), la plus proche du sémantisme de base, est stigmatisée dans les cacologies méridionales
du 19e s. dep. VillaGasc 1802 ; au plan dialectal, voir St-Pierre-de-Chignac (Dordogne)
se plejâ lous bras "se croiser les bras" (FEW), et lang. plëga lous brassës “croiser les bras, être à ne rien faire” (Sauvages 1785) ; il s’agit, comme pour l’ensemble des cas décrits ici, d’un emprunt
sémantique du français à la variété dialectale.
4. La lexie est surtout caractéristique, comme son référent, de la Basse-Normandie (dep.
1989, Lepelley) et du nord de la Bretagne. Absente des dictionnaires généraux, elle
est peu représentée dans les recueils différentiels (LepelleyBasseNorm 1989 ; LepelleyNormandie
1993 ; v. H. Walter ColloqueRennes 1996, 220 ; aj. à FEW 7, 544a-b, panis).
a Toutefois, certains locuteurs avertis considèrent ce particularisme comme un quasi
stéréotype, notamment en Basse Auvergne : « Il serait intéressant de pouvoir noter aussi toutes les expressions qu’on entend quotidiennement
en Auvergne : on dira par exemple d’un objet qu’il “fait besoin” (il est bien utile) ou on en demandera “autres deux” qu’on fera “plier” (envelopper) dans un papier » (A. Pourrat, Traditions d’Auvergne, 1976, 64).
b Mais sa présence dans une chanson à la mode au début du siècle ne semble pas avoir
été un facteur de diffusion au nord de la Loire : Elle vendait des p’tits gâteaux (1919) contient au premier refrain : « Ell’ vendait des p’tits gâteaux, Qu’elle pliait très comm’ il faut Dans un joli papier
blanc, Entouré d’un p’tit ruban […] » (Texte dans Martin Pénet, Mémoire de la chanson, Paris, Omnibus, 1998, 1342 ; les paroles de cette chanson sont de Jean Bertet et
Vincent Scotto, et plier est sans doute dû ici à ce dernier, d’origine marseillaise).
c Cette expression plaisante, caractérisant quelque chose d’extrêmement modeste, a été
relevée encore dans un titre de Maurice Roche, Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil, Paris, Gallimard, 1997 [auteur né à Clermont-Ferrand]. Cf. ici collègue, ex. 8.
d V. encore au 18e s., dans le Sud-Ouest, l’emploi récurrent de la mention « Pour plier des marchandises » dans un état descriptif des différentes sortes de papier fabriquées vers 1751 dans
les papeteries de la subdélégation de Villeneuve-en-Agenois (A. Nicolaï, Histoire des moulins à papier du Sud-Ouest de la France […], 1935, t. 1, 19).
e DG considère comme du français général l’emploi de plier au sens de "ranger" quand ce sens est lié à l’idée de départ comme dans la locution plier bagage (dep. 1643 G. Patin, frantext). Littré, qui ne stigmatise pas l’emploi, fournit précisément cet exemple, ignorant,
sans doute, les cas où l’usage n’était pas général.
f À noter, dès le 13e s., le compl. d’obj. son affar : Son affar plega et estrein Guillems (Flamenca 6921, Lv).
g Également attesté à Genève « t. d’école » Lach, FEW.
◇◇ bibliographie. FEW 9, 65b, 66a-b, 70b, plicare I ; PomierHLoire 1835 ; GabrielliProv 1836 « les bras pliés, les bras croisés » ; AnonymeToulouse 1875 ; OffnerGrenoble 1894 ; « Une autre fois si vous y remettez du jambon [dans un colis] plier le dans du papier
blanc comme celui que se serve les charcutiers » (24 avril 1915, VandrandPuyD, 89 [sic en tous points]) ; LambertBayonne 1930 ; BrunMars 1931 ; MichelCarcassonne 1949 ;
DornaLyotGaga 1953 ; MazaleyratMillevaches 1959 ; MoussarieAurillac 1965 ; PierdonPérigord
1971 ; GagnonBourbonn av. 1972 ; DuprazSaxel 1975, 160 « envelopper (d’un papier, d’un tissu) » ; BonnaudAuv 1976 ; DelortStClaude [ca 1977] ; NouvelAveyr 1978 « très courant » ; EspallBernisToulouse 1979 ; GonthiéBordeaux 1979 ; DuclouxBordeaux 1980 ; BecquevortArconsat
1981 ; MédélicePrivas 1981 « très courant » ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; ArmanetVienne 1984 dans la métalangue ; BoninBourbonn
1984 dans la métalangue ; GononPoncins 1984 ; MeunierForez 1984 ; BouvierMars 1986 ;
GuichSavoy 1986 ; MartinPellMeyrieu 1987 ; SuireBordeaux 1988 ; BoisgontierAquit 1991 ;
CampsRoussillon 1991 ; LangloisSète 1991 ; SuireBordeaux 1991 et 2000 ; BoisgontierMidiPyr
1992 ; ChaumardMontcaret 1992 ; VurpasMichelBeauj 1992 « usuel au-dessus de 20 ans, connu au-dessous » ; BlancVilleneuveM 1993 « usuel » ; FréchetMartVelay 1993 « usuel » ; GagnySavoie 1993 « très usité » ; PénardCharentes 1993 ; PotteAuvThiers 1993 ; ValThônes 1993 ; CovèsSète 1995 ;
FréchetAnnonay 1995 ; LaloyIsère 1995 ; SalmonLyon 1995 ; CottetLyon 1996 ; GermiChampsaur
1996 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 « globalement bien connu » ; FréchetMartAin 1998 ; LengertAmiel ; MichelRoanne 1998 « usuel » ; PlaineEpGaga 1998 « très fréquent » ; BouisMars 1999 ; ChambonÉtudes 1999, 133 (Pourrat, Gaspard des montagnes) ; MoreuxRToulouse 2000 « régionalisme inconscient » ; QuesnelPuy 2000 ; comm. pers. J.-P. Chambon.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1) Ain, Ardèche, Aude, Drôme, Gard, Gers, Gironde, Isère, Hérault, Landes, Loire, Haute-Loire
(Velay), Lot-et-Garonne, Lozère, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées,
Haute-Vienne, 100 % ; Creuse, Haute-Loire (nord-ouest), Pyrénées-Orientales, 80 % ;
Hautes-Alpes, Cantal, Corrèze, Dordogne, 75 % ; Jura, 65 % ; Bouches-du-Rhône, 60 % ;
Alpes-de-Haute-Provence, Savoie et Haute-Savoie, Var, 50 % ; Alpes-Maritimes, 40 % ;
Rhône, Vaucluse, 30 % ; Doubs, Haute-Saône, Territoire-de-Belfort, 0 %. (4.) Côtes-d’Armor, 65 % ; Finistère, 55 % ; Morbihan, 25 %.
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