profiter v.
1. 〈Surtout au sud d’une ligne allant de la Haute Bretagne au Doubs〉 usuel Emploi intr. [Le sujet désigne le plus souvent un enfant, un jeune animal, une plante] "grandir et grossir, se développer favorablement". Les petits cochons […] profitaient assez bien (Cl. Duneton, Le Diable sans porte, 1981, 112). Les bêtes ont profité (D. Crozes, La Fille de La Ramière, 1998, 35). Pendant trois mois, le bébé […] ne profita pas du tout (M. Massalve, Marie du fond du cœur, 1998, 26). Enfant maigre, malade, qui ne profite pas (I. Frain, La Maison de la source, 2000, 151).
1. Bien avant la saison des orages, Marthe avait eu d’autres soucis : tantôt c’était
une brebis gâtée par la rosée, tantôt une autre qui boîtait [sic], un agneau qui ne profitait pas. (A. Dupin, Pierric, 1953, 92.)
2. J’ai souvent entendu dire, sans avoir la preuve formelle que cela ait été pratiqué,
que lorsqu’un enfant ne profitait pas, qu’il était malade et chétif, grincheux et sans vitalité, on procédait à un
second baptême, en changeant le nom du petit (et peut-être les parrains). (M. Delpastre,
Bulletin de la Société d’Ethnographie du Limousin et de la Marche […] 18-19, 1966, 156.)
3. Les prairies verdissaient et poussaient à vue d’œil. On faucherait tard, bien sûr ;
mais, si le temps s’y prêtait, on arriverait à tirer du foin en suffisance. Les troupeaux
aussi avaient profité. (M. Chaulanges, Le Roussel, 1972, 53.)
4. Elle avait des tas de soucis en dehors du train journalier. Les maladies des enfants,
la vache qui menaçait de perdre son veau, le cochon qui ne profitait pas comme il aurait dû, les récoltes gâchées par l’orage et toujours les dix-neufs
sous qui manquaient pour faire un franc. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 33.)
5. – Pourtant, Sophie, votre petit* profite ?
– Pour ça, il profite, c’est sûr… En dernier [= ces derniers temps], il a même bien grandi, bien grossi… Mais, sa tête… (Cl. Joly, Bonnes Gens, 1976, 43.) 6. – Et ta femme ? Et le pitchounet*, là ? Dis, c’est qu’il se fait beau, maintenant. On voit qu’il profite bien. (P.-J. Vuillemin, Les Contes du pastis, 1988, 118.)
7. À l’automne suivant, on jugea que j’avais bien « profité » et que ma mère pouvait se libérer ; elle repartit pour la capitale et je ne la revis
presque plus. (G. Georgy, La Folle Avoine, 1991, 55.)
8. la titine. Est-ce que vous mettez les génisses aussi [au champ] ?
La félicie. Oui, mais pas les veaux, ils ne profitent pas, ils sont aussi bien à l’étable. (P. Jeune, « La Félicie cause au Milo », dans Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n.s. 19, octobre 1992, 241.) 9. En même temps que les cyprès, mon grand-père apporta trois lauriers et, ceux-ci, il
les planta en rang tout juste de l’autre côté de la cour. Eux aussi profitèrent. (M. Delpastre, Les Chemins creux, 1993, 198.)
10. Dans les jours qui suivirent, elle entendit parler semblablement d’une poule trasse
[= chétive], toute déplumée ; d’un veau trasse, qui profitait mal […]. (J. Anglade, La Soupe à la fourchette, 1994, 44.)
11. Léonard, comme ses frères, sera nourri au sein maternel pendant des mois. Il profitera bien et sera un garçon vigoureux. (P. Louty, Léonard, le dernier coupeur de ronces, 1995, 19.)
12. Et puis une affiche avec un cochon jaune qui rigole où il est écrit « Il profite avec Porcigène ». (A. Aucouturier, La Tourte aux bleuets, 1997, 32.)
13. […] il voyait bien, pourtant, les bêtes profiter, les petits grandir et forcir […]. (M.-M. Muller, Froidure, le berger magnifique, 1998 [1997], 159.)
14. Les bons cochons sont les cochons gras, disait-on, ceux qui « ont bien profité ». (J.-Cl. Carrière, Le Vin bourru, 2000, 88.)
V. encore s.v. an, ex. 3.
— Dans une comparaison.
15. Elle avait profité [la ville de Saint-Étienne] comme un champignon sur un crassier. (J.-P. Chartron,
Petites histoires en franc-parler. Le cri du pillot, 1988 [1987], 92.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident
16. Si l’enfant « ne profitait pas », comme on disait dans le langage du pays, Frida la chienne, au contraire, prospérait
grâce aux restes confortables des biberons que refusait la petite et qu’elle lapait
allègrement dans son écuelle. (A. Paillissé-Capmau, Les Quatre filles du chef de gare, 1995, 76.)
2. Emploi tr. usuel
2.1 [Le sujet désigne un animé]
— Emploi tr. dir. 〈Loire, Rhône, Languedoc, Aveyron, Puy-de-Dôme〉 "utiliser avec profit, tirer un bon parti de (qqc.)". Une bonne ménagère sait profiter les restes (EscoffStéph 1976, 371). Il a bien profité son petit costume (NouvelAveyr 1978). Si tu ne peux plus mettre ces souliers, ton frère les profitera (BoisgontierMidiPyr 1992).
17. Un cochon, ça profite tout. Mais au début, pour qu’il s’allonge au maximum, on lui donnait beaucoup d’herbes
et des navets. (L. Chaleil, La Mémoire du village, 1989 [1977], 214.)
18. Et périodiquement elle [la mère] profitait les vieux croûtons avec l’inimitable pain perdu. (M. Rouanet, Nous les filles, 1990, 178.)
19. Le vrai chou avec de la vraie farce, celle que nos grands-mères faisaient avec de
l’échine de porc, du veau, du lard, des œufs pour « profiter » les restes de rôtis et qu’elles servaient dans la cocotte noire en fonte. (D. Ruiz,
Centre France Région, Suppl. à Centre France Hebdo, 3 mai 1998, VI.)
V. encore s.v. petasser, ex. 1.
— 〈Basse Bretagne.〉
● Emploi tr. indir. profiter de + inf. "saisir l’occasion pour".
20. [Par beau temps] il faut profiter de faire certains travaux. (Finistère, agriculteur retraité, France-Inter, 2 décembre
1996, 21h.)
● Emploi abs. "tirer profit, tirer avantage de la situation (évoquée par le contexte)".
21. Il y a de la soupe trempée, puis du bœuf et de la viande salée […], et du lapin aux
pruneaux et du veau rôti avec des patates. Tout cela dans des plats immenses, creux
comme des cuvettes.
– Profitons puisqu’il ne manque pas, dit le monde des invités. (H. Pollès, Sophie de Tréguier, 1983, 139.) 22. Ils détachèrent les vaches, et Gaspard, flanqué de Mariole, entraîna le petit troupeau
à paître devant la maison.
– Allez, ce sont vos dernières journées passées au grand air avant longtemps. Puis il se rendit à l’écurie détacher Cantalou [le cheval]. – Toi aussi, profite. (J.-P. Leclerc, D’un hiver à l’autre, 1997, 176.) 2.2. [Le sujet désigne un inanimé concret] "faire de l’usage". Synon. région. faire du service*.
— Emploi tr. indir.
23. Gobi en rigolait, ébloui. Il lui restait un sacré bout de bon temps à passer sur terre.
Cette histoire lui profiterait jusqu’au cimetière, lui qui, jusque-là, n’avait jamais eu que des menteries à raconter.
(R. Fallet, Un idiot à Paris, 1966, 66.)
— Emploi abs.
24. Quand j’étais petite, ma mère et ma grand-mère choisissaient pour moi des tissus,
des patrons de robes, de blouses d’école, des fois retaillés dans des habits de ma
mère. « Un tissu de belle qualité qui profite. » (L. Semonin, La Madeleine Proust, 1990, 91-92.)
25. Si tu dois n’arroser qu’une fois [les plantes], fais-le le soir, ça profite toujours mieux la nuit. (Femme, 55 ans, mai 1998, Vichy, Allier.)
◆◆ commentaire. La filiation de 1. est continue en français dep. 1532 ("se développer, croître" chez Rabelais) jusqu’à aujourd’hui. La question du statut de ce particularisme sémantique
est posée dans les dictionnaires généraux depuis Rob 1961 « vieilli ou région. fam. », GLLF et Lar 2000 « fam. », Rob 1985 et NPR 1993-2000 « fam. ou région. », TLF « fam. » (v. encore Hanse 1994 « fam. » et CaradecArgot 1977). Les enquêtes DRF révèlent une connaissance de l’emploi proche
de 100 % dans l’aire signalée ci-dessus, avec un léger fléchissement au nord de l’aire
(80 % en Haute Bretagne ; 70 % dans le Centre). Aujourd’hui mal cerné par la lexicographie
générale mais bien vivant dans l’aire méridionale et de la Haute Bretagne à la Gironde
– et pas toujours familier, notamment quant le sujet désigne une plante –, il s’agit, pour le moins, d’un régionalisme de fréquence. Hors de France, on le
relève en Amérique du Nord (Dionne 1909 ; DitchyLouisiane 1932 ; MassignonAcad 1962 ;
« fam. » DQA 1992). Par ailleurs, cet emploi est bien représenté dans les dialectes d’oïl
au sud d’une ligne allant de Dole à la Franche-Comté, et en limite d’aire, comme à
Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence), en Velay, dans le Puy-de-Dôme ou la Creuse
(v. ALAL 720), le particularisme a donc été diffusé dans l’aire méridionale à partir
du français ; selon Gardette, le type frpr. profita, essentiellement localisé dans la partie ouest de la Loire, « est le fr. profiter "réussir", qui, dès le mfr. a pris le sens de "se développer, grandir" » (ALLy 5, 1000).
L’emploi transitif direct de profiter (2.1.), attesté depuis l’ancien français (ca 1260, TL), est stigmatisé dep. Féraud 1788 (« en certaines Provinces on fait profiter actif […] C’est un vrai gasconisme »), le changement s’étant opéré au cours du 17e s. (« Au commencement du 17e s. on employait activement profiter » Littré). Ce particularisme syntaxique est employé ou connu sur une aire compacte
– du Languedoc au Forez et Lyonnais –, bien représenté dans la lexicographie régionale, confirmé par les enquêtes DRF. Il
est également de quelque usage en Belgique (PohlBelg 1950)a et en Afrique (IFA 1983 et 1988, profiter qqc. et spécialement profiter qqn "courtiser, conquérir (une femme)"). Déjà dans PuitspeluLyon 1894, profiter de + inf. est attesté à St-Pierre et Miquelon (BrassChauvSPM 1990 vaut mieux profiter de dormir) et surtout en Suisse romande (DSR 1997 profitez de voyager pendant les vacances). L’emploi absolu est limité à quelques attestations dispersées (Côtes-d’Armor, Languedoc
oriental, Haute Auvergne), à rapprocher de St-Pierre et Miquelon les seuls à profiter c’est les bus et les taxis. L’emploi est non marqué dans GLLF (avec un ex. de S. de Beauvoir). L’ensemble des
particularismes morphosyntaxiques ou sémantiques formés avec profiter, et le flottement dans les marques, révèlent des pistes amorcées puis abandonnées
par la langue générale (2.1.).
a « Mon équipe et moi-même ne l’utilisons jamais » (M. Francard).
◇◇ bibliographie. Sauvages 1785 ; Féraud 1788 ; MolardLyon 1810 ; PomierHLoire 1835 ; GabrielliProv
1836 ; Dupleich, Dictionnaire patois-français de St-Gaudens, 1843, s.v. aoumenta ; Honnorat 1848, s.v. proufichar, proufitar ; BourquelotProvins 1868 (1.) ; ChambonVayssier 1879, s.v. proufitá ; PuitspeluLyon 1894 ; VachetLyon 1907 ; Dionne 1909 ; ChoussyBourbonn 1914 ; LiègeChâtellerault
1923 ; LarocheMontceau 1924 (1.) ; Ruitton-Daget, Vocabulaire du patois berrichon, 1925, s.v. débourrer ; BrunMars 1931 (2.) ; Cl. Rouleau, Essai de folklore de la Sologne bourbonnaise, Moulins, Crépin-Leblond, 1935, 36 ; MussetAunSaint 1938 (1) ; RostaingPagnol 1942,
39 ; Poirier FrM 1944, 163 ; MichelCarcassonne 1949 (2.) ; PohlBelg 1950 ; DornaLyotGaga
1953 ; Piquand, Le Parler bourbonnais, Montluçon, 1953, s.v. abonda ; GarneretLantenne 1959 ; MassignonAcad 1962 ; GagnonBourbonn 1972 ; EscoffStéph
1972 et 1976 ; BonnaudAuv 1976 ; BridotSioule 1977 ; NouvelAveyr 1978 « très courant » ; Belisle 1979 ; BecquevortArconsat 1981 s.v. obondo (fuaire d’-) ; TuaillonRézRégion 1983 (1) ; ArmanetVienne 1984 ; BoninBourbonn 1984 ; GononPoncins
1984 « très courant » ; MeunierForez 1984 ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; BouvierMars 1985 ; QuestionThiers
1987 (1., 2.) ; DesrichardSouvigny 1989 ; BrassChauvSPM 1990 (2.) ; BoisgontierAquit
1991 ; CampsLanguedOr 1991 (2.) ; CampsRoussillon 1991 (2.1.) ; BoisgontierMidiPyr
1992 (1., 2.) ; DQA 1992 ; DubuissBonBerryB 1993 ; BlancVilleneuveM 1993 « usuel » ; FréchetMartVelay 1993 « usuel » ; FréchetAnnonay 1995 « globalement usuel » ; MazodierAlès 1996 (1. et 2.1.) ; FréchetDrôme 1997 « usuel » ; DSR 1997 (2.) ; FréchetMartAin 1998 ; MichelRoanne 1998 (1) « usuel » ; PlaineEpGaga 1998 « très fréquent » ; BouisMars 1999 ; FEW 9, 427b ; 428a, profectus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1) Ain, Ardèche, Ariège, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Cantal, Charente-Maritime, Corrèze,
Creuse, Dordogne, Drôme, Haute-Garonne, Gers, Gironde, Isère, Landes, Loire, Loire-Atlantique,
Haute-Loire, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Rhône, Sarthe, Savoie, Haute-Savoie,
Deux-Sèvres, Tarn-et-Garonne, Vienne, Haute-Vienne, 100 % ; Alpes-Maritimes, Tarn,
85 % ; Allier, Cher, Indre, Puy-de-Dôme, 80 % ; Hautes-Alpes, Charente, Ille-et-Vilaine,
Vendée, 75 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Maine-et-Loire, Var, Vaucluse, 65 % ; Lot-et-Garonne,
40 % ; Loir-et-Cher (sud), 30 %. (2) Aude, Aveyron, Hérault, Lozère, Pyrénées-Orientales, Tarn, 100 % ; Gard, 90 % ;
Tarn-et-Garonne, 65 % ; Ariège, Haute-Garonne, 50 %.
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