y pron. neutre
〈Loir-et-Cher (sud), Indre (sud-est), Cher (sud), Allier (nord), Nièvre, Saône-et-Loire,
Côte-d’Or, Doubs, Jura, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire (surtout Roanne),
Isère, Drôme, Gard, Auvergne, Ardèche (nord), Creuse〉 fam. [Équivalent d’un pronom neutre obj. direct, parfois explétif par rapport au fr. stand.]
"le, cela/ça". Ça, tu y apprendras tout seul (Ph. Valette, Mon Village, 1947, 181). Je n’y aime pas tant (H. Vincenot, Le Pape des escargots, 1972, 67). J’y vois bien (R. Fallet, Le Braconnier de Dieu, 1982 [1973], 17). Tu veux pas d’ ça ? Tu y aimes pas ? (F. Lapraz, Beaujolaiseries, 1979, 103). Faut m’y dire (M. Mazoyer, Les Aventures du Toine Goubard, 1982, 20). J’y sais (DubuissBonBerryB 1993). Je me rappelle plus, j’y cherche et j’y trouve plus (GagnySavoie 1993). Tout ce qu’il aime pas, il y laisse dans son assiette (RobezMorez 1995). Je serais bien en peine de vous y répéter (D. Van Cauwelaert, La Vie interdite, 1999 [1995], 77).
1. – Me voilà d’aplomb…
– Alors, ça ira tout de même pour le tournoi ?… – On y fera aller… (M.-É. Grancher, Le Bistrot du porc, 1945 [1944], 164.) 2. Devant son fourneau, l’artiste est seul avec son rêve à la crème ou au vin. Si, en
cet instant d’amour, Bocuse se met à penser qu’il n’est pas « le primat des gueules », ah ! misère ! Il aura beau ricaner « Les critiques, j’y crains pas, j’y crains plus, je suis blindé », je verrai la panique lui nouer le ventre. (F. Deschamps, Croque en bouche, 1980 [1976], 26.)
3. La cousine Honorine était sûre de son fait : la tante Tremblotte la guérirait. Mon
arrière-grand-mère prenait son air le plus modeste, sa voix la plus benoîte pour dire :
– Oh ! j’y fais plus tellement, ça me fatigue, ça m’épuise. […] J’ai pas fait ça depuis au moins dix mois… et j’y crains ! (H. Vincenot, La Billebaude, 1978, 54.) 4. Joseph se rend à ce café [à la Croix-Rousse] qui est éloigné du marché et lui fait
faire un détour […]. « C’est à cause du nom. On n’a pas idée de s’appeler À la crèche. Moi j’y trouve très drôle, surtout pour boire un coup le dimanche matin. Et puis, ils ont
un mâconnais comme pas deux dans le quartier […]. » (M. de Certeau et al., L’Invention du quotidien, 1994 [1980], t. 2, 156.)
5. – Tu veux que je te dise, Cicisse ?
– Dis-y. (R. Fallet, La Soupe aux choux, 1980, 34.) 6. L’enfant (devant une assiette de soupe). J’y aime pas.
La maman. Si tu y aimes pas, faut y prendre quand même. (Recueilli dans le Sud du Cher par P. Dubuisson MélTuaillon 1989, 168.) 7. « Pense à préparer ton sac pour cet après-midi. Et fais bien attention de rien oublier,
parce que cette fois, vu que je rentrerai pas à midi, je passerai pas derrière toi
pour y vérifier. » (C. Bouchard, La Bande des Pas-Beaux, 1993, 88.)
8. – […] Allez, finis* don [sic] d’entrer, on va y arroser. (A. Aucouturier, La Tourte aux bleuets, 1997, 13.)
9. – […] Il faudra venir plus souvent pour ouvrir les volets, sinon tout va moisir.
– Oh ! bé, ça, je veux bien y faire si vous me laissez la clé […]. (J.-Cl. Libourel, Le Secret d’Adélaïde, 1999 [1997], 79.) 10. – Jamais on n’aurait pu y deviner, personne ! (D. Van Cauwelaert, La Vie interdite, 1999 [1997], 71.)
11. « Mets-y de côté [de l’argent de poche donné à un enfant], cela te sera plus utile que d’acheter
des bonbons » (Infirmière, 39 ans, originaire de Lons-le-Saunier, Belfort, 22 juin 2000.)
□ En emploi autonymique et dans un contexte métalinguistique.
12. – A Jaligny, on dit point « Je ne sais pas » on dit « J’y sais pas », d’abord. (R. Fallet, Un idiot à Paris, 1990 [1966], 238.)
□ En emploi métalinguistique.
13. Il s’attaqua à mes liens, les mains d’abord. Sans couteau, ce n’était pas commode.
– On t’a drôlement bien attaché… Bouge pas, je vais y défaire. (Ce « y », employé comme complément d’objet direct, est caractéristique du parler lyonnais). (R. Belletto, Le Revenant, 1981, 296.) 14. – J’y sens ben, dit Catherine qui, comme les gens de ce pays-là, employait comme complément
d’objet le « y » que tous eussent employé pour désigner un lieu. (H. Vincenot, Le Maître des abeilles, 1992 [1987], 159.)
◆◆ commentaire. Attesté dep. 1547 dans le français de Suisse romande (« Elle dist qu’il y avoit quatres ou huict jours qu’elle y sçavoit » H. Fazy, Procédures et jugements du xvie siècle, Genève, 1886, 139, dans Pierreh). « C’est un trait de français régional extrêmement tenace ; j’ai souvent entendu dans
les villes de Saône-et-Loire des gens cultivés dire : “j’y sais” ou “on ne peut pas y faire”. Le foyer de propagation semble avoir été la région de Lyon ; Autun a pu servir d’intermédiaire
en direction du Morvan […]. L’origine de ce morphème est analogique ; il provient
d’une extension du pronom adverbial y destinée à pallier une insuffisance de la langue nationale ; on est parti de tournures
équivalentes telles que “j’y pense – je le pense”, “j’y crois – je le crois”, “n’y touche pas – ne le touche pas” » (Cl. Régnier, dans Verba et vocabula. Ernst Gamillscheg zum 80. Geburstag, Munich, 1968, 465-466). L’aire de cet usage dépasse très largement en France le « quadrilatère vaguement dessiné par les diagonales Lausanne-Saint-Etienne et Mâcon-Grenoble » (Tuaillon TraLili 1969, 169), et s’étend vers le Nord jusqu’au Doubs et à la Côte-d’Or
(et à la Lorraine au début du 19e siècle), vers l’Ouest jusqu’au Loir-et-Cher, à l’Indre et à la Creuse, vers le Sud
jusqu’au Gard.
◇◇ bibliographie. MichelLorr 1807 « Ne dites pas, je n’y ferai plus. – [Dites] Je ne le ferai plus. Cela ne m’arrivera
plus ») ; ConnyBourbR 1852 ; MonnierDoubs 1859 (à Lons-le-Saunier) ; JaubertCentre 1864 ;
ConstDésSav 1902, 226 ; Mâcon 1903-1926 ; M. Cohen BSL 30, v ; BaronRiveGier 1939, 35 j’y aime "j’aime cela" ; DelortStClaude [ca 1977] ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; TuaillonRézRégion 1983 (Haute-Savoie) ; TuaillonVourey
1983 ; GononPoncins 1984 « tournure […] sentie comme étrangère ; elle semble plus fréquente en Roannais » ; GuichSavoy 1986 ; RobezVincenot 1988 ; MartinPilat 1989 « globalement bien connu […] un peu moins vivant qu’en région lyonnaise » ; P. Dubuisson MélTuaillon 1989, 168-171 et 173 (carte) ; DucMure 1990 ; TrouttetHDoubs
1991, 41 ; VurpasMichelBeauj 1992 « usuel » ; BlancVilleneuveM 1993 ; DubuissBonBerryB 1993 ; GagnySavoie 1993 « partout ; très courant » ; ValThônes 1993 « expression savoyarde typique » ; VurpasLyonnais 1993 « usuel » ; FréchetAnnonay 1995 « globalement usuel » ; RobezMorez 1995 ; SalmonLyon 1995 ; FréchetDrôme 1997 ; ValMontceau 1997 « très répandu dans le bassin Minier » ; FréchetMartAin 1998 « usuel » ; MichelRoanne 1998 « usuel » ; G. Tuaillon TraLiLi 7/1 (1969), 169-175 et Recherches sur le français parlé 5 (1983), 230-232 « vivace » ; ALCe 1196 ; ALB 1730 (Nièvre sud ; Saône-et-Loire) ; FEW 4, 423a, hic.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Ain, Isère, Loire, Haute-Loire (nord-ouest), Puy-de-Dôme,
Savoie, Haute-Savoie, 100 % ; Cantal, 90 % ; Drôme, Rhône, 65 % ; Cher, 60 % ; Indre,
50 % ; Ardèche, Loir-et-Cher (sud), 30 % ; Allier, 15 % ; Haute-Loire (Velay), 0 %.
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