cabanon n. m.
〈Hautes-Alpes, Provence (notamment Marseille), Gard, Hérault〉 usuel "habitation rustique à la campagne ou en bord de mer, souvent de dimensions réduites,
faisant l’objet d’aménagements variés, où l’on passe son temps de loisir". Synon. région. baraquette*, bastidon*, mazet*. – Aller au cabanon ; partie de cabanon.
1. […] j’arrive de La Côste que j’y ai ma bonne maison d’en ville, je viens à mon cabanon de Drailles, je m’assieds devant ma porte où le bleu aurait besoin de peinture et
je reste là, les dix doigts sur la robe comme dix petits lézards qui se prendraient
le soleil… (Th. Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 8.)
2. Un jour, ils louèrent un cabanon avec un bout de terrain pour avoir un pied-à-terre les jours de congé et l’été quand
les soirées sont longues et chaudes. (M.-Th. Chalon, Une vie comme un jour, 1976, 56.)
3. Venez mes amis dans mon cabanon / Goûter à la bonne bouillabaisse […] / Là-bas sous les pins / Il y aura du vin / Personne
ne s’en plaint / Merveilleux tremplin. (Ch. Trenet, « Versailles en Provence », 1976, dans Le Jardin extraordinaire, 1993, 450.)
4. Lorsqu’en hiver le ciel pleurait des journées entières le soleil défunt, Léa ne se
morfondait jamais au village. Par les chemins détrempés, il partait dès le matin à
sa campagne* du Puits d’Eïma, où il possédait un petit cabanon en bordure des oliviers. (M. Stèque, La Tour de Siagne, 1981, 163.)
5. Quel est le Marseillais qui n’a pas son cabanon ? En tout cas, ce ne sont pas les cabanons qui manquent autour de Marseille. Il y en a au bord de la mer, comme dans l’arrière-pays
entre Marseille et Aix. […] Au bord de petites falaises ou dans la colline, les cabanons sont disséminés dans les pinèdes. Ils se présentent aussi en bourgades fort pittoresques,
comme ces hameaux de pêcheurs aux couleurs violentes accrochés au fin fond des criques
derrière leurs estacades. Depuis la guerre de 40, certains cabanons sont devenus de grosses villas, mais le type n’a pas disparu. Le cabanon n’a qu’une pièce ou deux, plus rarement trois ou quatre. C’est la maison du pêcheur
ou l’abri de toute une famille pendant le week-end et les vacances. Il possède un
« potager » (fourneau provençal) et une « pile »* (évier) alimentée par l’eau d’une citerne pompée à la main. […] un cabanon doit avoir au moins une terrasse, pour profiter du soleil en buvant le pastis à la
mi-saison et jouer à la belote tout en prenant le frais des nuits d’été. (Pays et gens de France, n° 38, les Bouches-du-Rhône, 10 juin 1982, 28-29.)
6. Dans l’allée des Acacias, qui conduit directement au port, tous les cabanons se touchent, et le soir on entend tout […]. (É. Boissin, Le Minot, 1988, 31.)
7. On assurait qu’en certains cas, collabos et antivichystes se repliaient déjà, ensemble
quelquefois et s’assurant mutuellement dans mazets* et cabanons retirés des grands axes. (R. Chabaud, Un si petit village, 1990, 237.)
8. Denis et sa famille prenaient souvent leurs quartiers d’été dans l’un ou l’autre de
leurs deux cabanons. […] Le second cabanon se trouvait au vallon des Auffes, un petit port de pêche de Marseille […]. Nous l’appelions
le « cabanon de la mer ». […] Denis et moi y passions des après-midi à pêcher des gobis* […]. (J.-M. Di Falco, Le Gàrri, 1992, 144.)
9. Ils [à Paris] partent en vacances. On [à Marseille] va au cabanon. (« Marseille c’est pas la France ! » [1993], dans N. Roumestan, Les Supporters de football, 1998, 149.)
10. Hameau des Goudes. Aux confins de la pierre et de la mer. Au bout du monde, semble-t-il.
Et cependant en ville. […] Pendant longtemps, on a refusé de réadapter des structures
faites pour trois cent cinquante habitants. Mais les cabanons d’hier sont devenus de vraies maisons sans qu’on s’en aperçoive. (A. Medam, Blues Marseille, 1995, 126.)
11. Depuis que j’étais revenu vivre à Marseille, cela faisait une bonne dizaine d’années,
je n’avais pu me résoudre à habiter ailleurs qu’ici, aux Goudes. Dans un cabanon – un petit deux-pièces-cuisine – que j’avais hérité de mes parents. À mes heures
perdues, je l’avais retapé tant bien que mal. C’était loin d’être luxueux, mais, à
huit marches au-dessous de ma terrasse, il y avait la mer, et mon bateau. (J.-Cl. Izzo,
Chourmo, 1996, 25.)
12. Mes parents m’ont légué un cabanon à Niolon, en haut de la calanque […]. Deux vies de travail et d’amour en ont fait
une résidence secondaire modèle et modeste. (Fr. Thomazeau, La Faute à Dégun, 1996, 48.)
13. Les vrais Marseillais ne voyageaient jamais. Ils étaient même les ennemis du déplacement.
Une foule d’entre eux n’avait jamais franchi le Cap Croisette ou la calanque de Niolon,
y en avait même qui n’étaient jamais sortis de leur quartier et même de leur maison !
L’été, quelques-uns partaient s’aérer dans leur cabanon, ils vidaient quelques bouteilles et revenaient vite. (M. Albertini, Les Merdicoles, 1998, 130.)
14. Pour ces familles marseillaises, si attachées à leur foyer qu’elles semblaient casanières,
on comprend la signification magique du mot cabanon. Il a fait rêver pendant des jours et des semaines plusieurs générations de travailleurs.
Car une partie de cabanon résumait tous les plaisirs de la terre : le soleil et la mer, la pêche, la liesse
fraternelle autour d’un repas improvisé mais copieusement arrosé. (RoubaudMars 1998,
49.)
15. carnoules : grand cabanon, 30 m2 […], séjour avec cheminée, coin cuisine, petite mezzanine, s. d’eau avec wc, terrasse
couverte avec barbecue […]. (Var-Matin, 25 septembre 1998, Annonces Var-Ouest.)
16. Souvent on disait, Pentecôte, c’est la clé des cabanons. […] Les familles qui possédaient un cabanon au bord de la mer ou sur les rives du Gapeau, employaient les fêtes de Pentecôte
à l’aménagement des maisonnettes en bois. (M. Fillol, Les Cigales chantent encore, 1999, 81.)
17. En Provence, la classe ouvrière défend ses « cabanons » [titre] / […] des ouvriers à faible revenu, qui ne partent jamais en vacances car
ils restent au cabanon […]. M. Michel, […] jeune retraité, l’explique très bien : « On est né au milieu des oiseaux. Tous les jours je vais au cabanon : c’est ça la vie. » (M. Samson, correspondant régional, Le Monde, 1er juillet 1999, 6.)
V. encore ici s.v. cabanonnier ; s.v. bastide, ex. 13 ; collègue, ex. 17 ; faïsse, ex. 12 ; méfi, ex. 3.
□ Dans un commentaire métalinguistique incident. Voir s.v. mazet, ex. 9.
— Au sing. à valeur générique.
18. « Le cabanon, c’est toute notre vie », disait la chanson ; disons qu’il se trouvait au centre des grands moments de la vie
marseillaise, accroché comme une arapède* ou une favouille* aux roches blanches comme du sucre. On y venait en famille y manger l’aïoli, à l’ombre
des canisses*, dans le bruit frisotté des vagues maigres qui s’enfoncent dans les calanques… (Le Monde sans visa, 21 juin 1986, 15.)
19. La fortune du cabanon doit beaucoup à l’exploitation littéraire du thème. Elle a transformé une pratique
somme toute banale en véritable mythe ; alors que le cabanon est en voie de disparition, ce qui le concerne présente encore une étonnante vitalité
dans les mœurs marseillaises, et une indéniable présence dans la mémoire collective.
(J.-M. Tixier, Le Cabanon, 1995, 126.)
V. encore ci-dessous, ex. de Tixier.
■ remarques. Dans la région marseillaise, cabanon entre dans plusieurs locutions du vocabulaire du jeu de boules, v. MartelBoules 1998.
■ dérivés. peu usuel cabanonnier n. m. "celui qui possède un cabanon". « Le cabanon* se prête merveilleusement à la vie marginale. Espace hors la loi, il répond aux aspirations
et au caractère du Marseillais. Chaque cabanonier [sic] se transforme, le temps d’un séjour, en une sorte de Robinson volontaire qui n’a
qu’une hâte : déboutonner ses habits de civilisé et retrouver l’état de nature » (J.-M. Tixier, Le Cabanon, 1995, 53) ; « Si le pêcheur professionnel a aujourd’hui disparu des calanques, le “cabanonier” [sic], lui, y reste aussi fidèle que l’était son père ou son grand-père » (M. Godard et J. Dupuy, « La bouillabaisse », dans J. Csergo, Pot-au-feu, 1999, 129.).
◆◆ commentaire. Ce sens, par restriction de frm. cabanon "petite cabane" (dep. Trév 1752 dans TLF), lui-même probablement d’origine provençale, comme cabane, est entré dans la lexicographie générale dep. Lar 1867 (« cabanon […] En Provence, petite maisonnette que l’on construit dans la campagne, et que l’on
n’habite guère que les jours de fête ou de repos ») et les dictionnaires généraux actuels l’enregistrent comme « région. (Provence) » (TLF) ou « en Provence » (GLLF, Rob 1985, NPR 1993-2000, Lar 2000). Il est documenté dep. 1844 (« [Pour le Marseillais,] en dehors de Marseille, il n’y a rien. – Lui, et périsse le
reste ! – La vue ne s’étend pas plus loin que son petit cabanon de la “Bastille” [sic], pourvu qu’il y ait de quoi aller là tous les dimanches bien boire et bien manger.
Les Avignonnais sont de grands humanistes comparés aux Marseillais » Flora Tristan, Le Tour de France, Paris, éd. Tête de Feuilles, 1973, 176, comm. de P. Enckell) et 1860 (« La passion de la bastide est innée chez le Marseillais. L’ouvrier qui n’est pas assez riche pour se donner
quatre murailles ornées d’un toit à tuiles rouges et de quatre pins à cigales, se
donne le cabanon. Il y a des rochers arides semés de cabanons, brûlés par le soleil, secoués par le
mistral, mais toujours chers à leurs heureux propriétaires. Ce cabanon est à moi, pensée enivrante qui change le désert en oasis, et la pierre en velours » J. Méry, Marseille et les Marseillais, Paris, 1860, 63)a.
a Le terme a pu être diffusé hors de Provence par « La chanson du Cabanon » (rondeau de la revue Oh ! coquin de sort !, Variétés-Casino de Marseille, novembre 1919), paroles de Fortuné cadet et César Labite,
dont la discographie compte une dizaine d’interprètes depuis 1920 ; en voici le premier
couplet : « Les gens du Nord avec des airs d’envie / Demandent ce que c’est qu’un Cabanon. / Le
Cabanon c’est toute notre vie / C’est tout et rien car ça n’a pas de nom, / C’est
un endroit où nous faisons des blagues, / Des galéjad’s qu’on lance sans façon, / Où
la gaîté se mêle aux chants des vagues / C’est le Midi, quoi ! c’est le Cabanon » (Texte dans Martin Pénet, Mémoire de la chanson, Paris, Omnibus, 1998, 1324).
◇◇ bibliographie. BrunMars 1931 ; RostaingPagnol 1942, 120 ; BouvierMars 1986 ; MartelProv 1988 ; BlanchetProv
1991 ; ArmanetBRhône 1993 ; ArmKasMars 1998 ; BouisMars 1999 ; FEW 2, 244b, capanna.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Alpes-Maritimes, Hautes-Alpes, 100 % ; Var, 65 % ; Bouches-du-Rhône,
60 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse 50 %.
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