eh bé ! loc. interj.
〈Surtout dans la partie sud de la France〉 fam. ou pop. "(pour renforcer une assertion ; pour marquer un lien logique avec ce qui précède ;
pour dire sa surprise, son admiration, sa déception, pour encourager)". Stand. eh bien ! – É [sic] bé merde alors, tu en as de bonnes, toi (NouvelAveyr 1978).
1. – Allô, Martial ?
– Oui… – Ici Urbain. Je te téléphone au sujet de ma sœur… – Eh bé, tu tombes bien. (R.-V. Pilhes, La Rhubarbe, 1965, 38.) 2. – […] il vous manquera toujours…
J’hésitai : j’avais peur de le froisser. Les seuls mots qui me venaient, c’était l’expression dont maman usait toujours : « l’éducation première ». Simon me devina. – Eh ! Bé ! Oui ! Je serai toujours un paysan, un cul-terreux, et en plus un ancien apprenti-curé. (Fr. Mauriac, Un adolescent d’autrefois, 1982 [1969], 67.) 3. Mais la conversation s’engage, animée, pleine de rebondissements : « D’où êtes-vous ?… Nancy, eh bé !… J’y suis allé une fois… pendant la guerre » – c’est fou ce que les guerres ont drainé de Cévenols vers les marches de l’Est – « Boudie* ! il y fait froid l’hiver !… Ici on a bien un peu de neige, mais ce n’est rien, il
ne faut pas se plaindre… Ce sont vos enfants ? Peuchère* ! qu’ils sont bravets* ! […] ». Il faut bien faire connaissance. (H. Beck, « Cévenol, mon ami et mon frère », Lou Païs 207, janvier-février 1974, 10.)
4. – Il y a des fois des conneries [à la télévision], dit le vieillard, mais c’est quand
même une belle invention pour celui comme moi qui a le temps de la regarder. Tè* ! à 3 heures, y avait du théâtre. […] C’est pas pour toi mon pauvre vieux, que je
me suis dit. Hé ! bé ! J’ai regardé quand même. Macarel ! des acteurs pas ordinaires avec une allure et
des paroles, que ça vous remue. (J. Jaussely, Deux saisons en paradis, 1979, 83.)
5. – […]. Je sors de chez le docteur…
– Et alors ? – Alors ? Tu sais ce qu’il m’a dit… Mon pauvre Guy, tu bois du Pernod ?… Oui je lui dis ! Hé bé, c’est fini qu’il me dit. Plus de Pernod pour toi, je te l’interdis ! Sinon, t’es foutu !… J’en suis resté comme deux ronds de flanc, j’ai rien dit… Et pourtant, Pierrot, tu veux que je te dise ? Hé bé, du Pernod j’en ai bu toute ma vie. Hé bé, ça m’a jamais fait de mal ! […]. Qu’est-ce que vous buvez ? […] – Des Ricard… – Hé bé con*, donne-moi un Ricard aussi ! Y m’a interdit le Pernod, mais pas le Ricard ! (J. de Bougues-Montès, Chez Auguste. Hisoires truculentes et vraies du Bassin d’Arcachon, 1982, 100.) 6. – Je suis professeur dans un lycée de Montpellier. Je fais le trajet.
– Eh bé, ce doit être bien fatigant. (S. Pesquiès-Courbier, La Cendre et le feu, 1984, 281.) 7. Il saute dans le bassin d’eau froide. Il se lave, il se frotte, il s’ébroue. Pascale
s’étonne.
– Eh bé, toi, tu es bien propre ! (H. Abert, Le Saut-du-diable, 1993, 71.) 8. La bâtisse est superbe : toit d’ardoise vertigineux, cheminées hors gabarit, pierre
de taille blanche, briques rouges, balustrade, jardin d’hiver.
– Eh bé, putain*, je dis. (Y. Rouquette, La Mallette, 1994, 107.) 9. « Eh bè ! conclut la mère. Pour une grande malade, elle se porte assez bien ! » (J. Anglade, Un lit d’aubépine, 1997 [1995], 262.)
10. – […] Mon pauvre Antonin, si tu avais vu mon malheur, là-haut, sous mon toit, sans
personne à qui parler. Alors, quand on a frappé à ma porte, vé*, j’ai cru que c’était la mort.
Tout en racontant, elle chassa d’un revers de main cette ombre qui passait sur elle. – Hé bé, non, reprit-elle, figure-toi que c’était lui. (J.-Cl. Libourel, Le Secret d’Adélaïde, 1997 [1999], 17.) 11. – Oh, combien t’as de brebis dans le parc ?
– Eh bé, seize. – Ah non, j’en ai descendu que quatorze. – Dis que je ne sais plus compter. (Br. Auboiron et G. Lansard, La Transhumance et le berger, 1998, 91.) 12. – T’exagères, Fonfon.
– Vouais. Eh bé, tiens, ressers-moi un coup. Ça t’évitera de dire des conneries. (J.-L. Izzo, Solea, 1998, 87.) 13. « […] au Kop de Boulogne [stade du Parc des Princes] on peut pas rentrer si on est de
couleur, eh bè à Marseille on peut pas rentrer si on est facho. » (Témoignage de supporter, dans N. Roumestan, Les Supporters de football, 1998, 20.)
14. – Héroïsme ! Tu me fais rire ! […] s’il avait été tant héroïque que ça, on l’aurait
enterré pendant la guerre au lieu que ce soit aujourd’hui ! Moi les héros vivants,
tu sais…
– Eh bé, sois content ! Il est mort à la fin ! (P. Magnan, Un grison d’Arcadie, 1999, 72.) 15. – Alors, si je t’embête, je raccroche.
– Ne te vexe pas, Maurice. Si je t’appelle, ce n’est pas pour rien. – Eh bé alors, Francis, dis-moi quoi, au lieu de me faire lanterner comme un âne. (Fr. Pons, Les Troupeaux du diable, 1999, 178.) V. encore s.v. boudi(e), ex. 16 ; châtaigne, ex. 2 ; coucourde, ex. 11 ; couillon, ex. 22 ; estrasse, ex. 12 ; té, ex. 4.
□ En emploi autonymique.
16. Je n’insisterai pas spécialement sur le folklore outrancier que vous prêtez aux Cévenols :
les « té*, hé bé, boudie* et peuchère* ! », vous les rencontrerez plutôt dans les livres de romanciers méridionaux visant à
donner l’Occitanie en spectacle pour les Parisiens. (D. Faure [de Mialet], « Réponse à “Cévenol, mon ami et mon frère” [v. ici ex. 3] », Lou Païs 209, avril 1975, 52.)
V. encore s.v. putain, ex. 2 ; pute, ex. 3.
■ variantes. En dehors de eh bè (v. ci-dessus ex. 9 et 13), variante phonétique, et de hé bé (v. notamment ci-dessus ex. 4, 5, 10 et 16), variante graphique, on relève ah ! bé : « Le lendemain matin, la surprise fut de taille. Il y avait sept rats dans la nasse !…/
– Quelle horreur !… / Achille lui-même eut peur. Il appela le père Padel. / – Ah ! bé… si tu veux faire un bon pot-au-feu ! c’est le moment… » (Cl. Fourneyron, Quel temps faisait-il en Auvergne ?, 1991, 150).
◆◆ commentaire. Si les sources documentaires montrent que cette locution n’est pas exclusive de la
partie sud de la France (on peut la lire chez M. Achard, 1929, G. Bernanos 1935, Fr. Carco
1938, Y. Queffélec 1985, Frantext ; v. encore CartonPouletNord 1991 et GuilleminRoubaix 1992), elles témoignent néanmoins
d’un usage particulièrement bien inscrit dans cette vaste aire (dep. 1855a ; Daudet 1872, Cladel 1879, Mauriac 1923 et 1933, Audiberti 1947, tous dans Frantext), où bé vient d’occ. be, régulier entre Rhône et Garonne dans le domaine occitan. Les dictionnaires généraux
contemporains n’en rendent pas compte (Ø GLLF) ou enregistrent cette variante de eh bien s.v. eh un peu à la sauvette : TLF, sans marque et sans exemple ; Rob 1985 « méridional ». Les relevés régionaux sont relativement peu nombreux à relever ce fait, qui a dû
passer inaperçu à plusieurs en raison de son caractère apparemment anodin.
a « carabine. Eh ! bé !… eh ! bé !… sapeur ! voilà déjà qué vous commencez !… (Cormon et Grangé, Le Théâtre des zouaves, Paris, Michel Lévy, 9 ; Carabine est vivandière des zouaves et parle “avec un fort accent marseillais” » (p. 4). (Comm. de P. Enckell).
◇◇ bibliographie. Cf. GabrielliProv 1836 eh bien « les enfants du peuple, en Provence, s’en servent comme explétif » ; PépinGasc 1895 ; LambertBayonne 1902-1928 « eh bé, eh bien » ; SéguyToulouse 1950 é bé « tout à fait général » ; NouvelAveyr 1978 s.v. bé « malgré tous les louables efforts des instituteurs consciencieux visant à débarrasser
les Occitans de cette “patoiserie”, l’expression est toujours aussi vivante » ; GonthiéBordeaux 1979 é bé ; DuclouxBordeaux 1980 « s’emploie à toute occasion » ;SallesLBéarn 1986 ; SuireBordeaux 1988 et 2000 ; Wiedemann MélJeune 1990 s.v. bé (cite Mauriac, Le Mystère Frontenac) ; CartonPouletNord 1991 ; BoisgontierMidiPyr 1992 ;MoreuxRToulouse 2000 s.v. bé ; aj. à FEW 1, 322b-323a, bene (et 3, 199a, e), où cette locution manque.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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