rilles n. f. pl.
〈Orne, Manche, Mayenne, Sarthe〉 fam.
1. "viande de porc réduite en très petits morceaux et cuite lentement dans sa propre graisse
jusqu’à l’obtention d’une pâte onctueuse". Stand. rillettes. – Des rilles et du cidre (J. Favret-Saada et P. Contreras, Corps pour corps, 1981, 80). Du boudin, des saucisses, des rilles, du pâté de foie, du gras-double (G. Chevereau, Une enfance à la campagne, 1987, 222).
1. Par le feu, grâce à qui dans leur chaudron,
Benoîtement, mijotent les rilles de cochon, Par l’air où s’insinue vers tes narines de gourmet Des savoureuses viandes le délicat fumet, Par la terre du pot, où le voile de graisse Du mélange onctueux conserve la finesse, Par l’eau qui te vient à la bouche au seul nom de Rillettes […] Je te fais Chevalier de la Confrérie des Rillettes. (Intronisation dans la Confrérie des Chevaliers des Rillettes Sarthoises, 1968, dans A. Morin, M.-R. Simoni-Aurembou, Le Perche gourmand, 1993, 73.) 2. « P’tite Mère » va chercher un pot de rilles pour graisser son croûton. Madame Flora en salive. « Si on goûtait, nous aussi, Ma’me Favret. Une collation, ça n’ fait pas d’ mal ! Allez
don’ prend’ la miche dans l’sac qu’est pendu près d’ la gazinière, et deux couteaux
prop’ su’ l’évier. Vous boirez bien du cidre ? […] » (J. Favret-Saada et P. Contreras, Corps pour corps, 1981, 330.)
3. Pour compenser, on leur [aux religieuses de l’école confessionnelle] apportait des
paniers et aussi, quand qu’on tuait le cochon, on s’en venait à l’école avec des saucisses
ou des rilles. (P. Guicheney, On se meurt apprenti, 1997, 41.)
— Dans le syntagme beurrée* de rilles.
4. Il [un vin du coteau de Jasnières] est d’une bonne année […]. Délicieux avec une beurrée* de rilles !
– Pardon ? – Avec une tartine de rillettes. Ça vous dit ? (Sans attendre de réponse, il pose sur la table un pot de grès et un quart de miche de pain bis.) […] / Il commence à tartiner deux tranches de pain. (A. Demouzon, Château-des-rentiers, 1982, 81.) 5. Les enfants de la campagne ne pouvaient rentrer à la maison à midi. La plupart prenaient
leur repas dans les familles amies du bourg*. Les moins favorisés mangeaient leur beurrée* de rilles ou de fromage de bique dans la classe ou sous le préau. (G. Chevereau, Une enfance à la campagne, 1987, 30.)
6. Les bals sarthois de 1965 à 1975 : « beurrées* de rilles » et rock’n’roll. (Titre d’article, dans Le Maine libre, 29 décembre 1998, 12.)
V. encore s.v. beurrée, ex. 10.
2. grosses rilles "morceaux de viande de porc adhérant à des os que l’on cuit en même temps que les rillettes
et que l’on mange généralement chauds dès qu’ils sont cuits". Synon. friton*, graton*, grillon*, rillaud*, rillons*. – Les gourmets se régaleront de « grosses rilles » (Maine, 1988, 99.)
7. La cuisson [des rillettes] étant terminée […] mettre le mélange dans les pots ou terrines
appropriés […]. Les morceaux de viande restés accrochés aux os vous donneront les
grosses rilles si agréables à gratter pour déguster telles quelles, un régal supplémentaire. (Témoin
de Mamers, Sarthe, 1982, dans A. Morin, M.-R. Simoni-Aurembou, Le Perche à table, 1992, 150.)
8. On pendait le cochon par les pattes arrière sur l’échelle, le châtrou [= châtreur,
tueur de cochons] l’ouvrait en deux et on y sortait les tripes qu’on lavait tout de
suite, on les triait, les grosses pour l’andouille, les petites pour les saucisses
et le boudin, le foie dur et le foie mou (les poumons) pour le pâté, la queue, la
rate, les rognons, les oreilles pour en faire des grosses rilles. (P. Guicheney, On se meurt apprenti, 1997, 61.)
◆◆ commentaire. Typique de nos jours du français de Basse-Normandie et du Maine, ce type lexical est
attesté dep. 1456 à Lusignan [Vienne] (« et leur fut donné audit village une rille de porc pour leur souper […] et mirent cuire
leur reylle de porc […] et mengierent leur dicte reille » AHP 32, 1903, 428-429) ; 1481 à La Petite Boissière [Deux-Sèvres] (« plusieurs aulmosnes, comme oreilles et autres pieces de pourceau, […] leurs dictes
rilles, oreilles et aulmones qu’ilz avoient ainsi eu assez », Paris, Arch. nat., JJ 207, pièce n° 5, dans AHP 41 (1919), 401-402 ; 1746-48 (v. supra
s.v. rillaud). Issu de lat. regula "bande, barre", le terme correspond ou a pu correspondre à plusieurs référents et à plusieurs sens :
(i) "morceau de lard", ce qui est peut-être le cas dans l’ex. de 1481, (ii) "résidus croustillants de la fonte de la panne de porc", (iii) plus récemment, "rillettes" ; rilles est absent des dictionnaires généraux du français. Tandis que l’Anjou et la Touraine
créaient des diminutifs (rillots, rillons) pour dénommer les gros cubes de viande cuits dans la graisse, dans le Maine et le
Perche le terme de base se maintenait comme dénomination de cette préparation. La
situation a changé avec l’évolution des pratiques culinaires. Les rillettes telles
que nous les connaissons ne se sont répandues que tardivement (« Les jambons fumés et les célèbres rillettes n’apparaîtront [dans la Sarthe] qu’au
début du xixe siècle » Anne Fillon, Louis Simon, villageois de l’ancienne France, Rennes, Editions Ouest-France, 1996, 136) et il semble bien que le terme soit une
création tourangelle. Le mot a été relevé d’abord, en 1836, chez Balzac comme une
spécialité de sa province natale (v. TLF) et la lexicographie en a donné, continuement
et exclusivement, comme prototype les rillettes de Tours, de Besch 1845 à Lar 1964, de même que la littérature attribue cette spécialité culinaire
à la Touraine de façon tout aussi continue (1836, Balzac ; 1842, Reybaud ; 1863, Goncourt ;
1921, Proust ; 1922, France, tous Frantext). Il faut attendre Robert 1985 pour voir la lexicographie mentionner, parallèlement,
les rillettes du Mans et encore plus tard la littérature « Connerré [village de la Sarthe], patrie des rillettes » (1995, Boudard, Frantext). Malgré la différence de taille des morceaux (des gros dés pour les rillettes au
lieu de gros cubes pour l’autre préparation) et la consommation différée des rillettes
grâce à la conservation dans des pots de grès, la préparation de celles-ci était semblable
à celle des rilles, rillots, rillons. De ce fait, la nouvelle préparation a été dénommée par un dérivé au suffixe le plus
nettement diminutif ‑ette, qui a connu la fortune vraisemblablement en Touraine et, de là, en français. Dans
le sud de la Mayenne, un autre diminutif a rempli dialectalement la même fonction :
[riyo] m. pl. "rillettes" (DottinBasMaine 1899 ; ALBRAMms 90, 91). Mais plus généralement dans le Maine, le
terme de base s’est maintenu, étant donné que préparations traditionnelle et nouvelle
cuisaient ensemble. On a seulement créé la lexie grosses rilles pour distinguer les morceaux qui sont immédiatement consommés, solution inverse de
la diminutivation en rillettes, rillots. Dans la Mayenne, dialectalement, la fonction hyperonymique de rilles est encore plus manifeste, là où le mot y dénomme de façon générale les « rillettes faites à la ferme quand on a tué le cochon ; il y a les “grosses rilles” ou “rillots”, les “petites rilles” ou “rilles de tête” que l’on conserve en pots » (Cercle Jules Ferry, Parlers et Traditions du Bas-Maine et du Haut-Anjou, Lexique du patois vivant, Laval, 1987, 261). Sur le plan formel, la forme dialectale courante dans la majeure
partie de la Sarthe et l’est de la Mayenne est [ri :l] (Montesson 1859 ; Verdier 1951 ;
ALBRAMms 86, 112, 114, 117 à 126) ; même situation dans le Perche voisin (ALIFO 563).
Entre cette forme dialectale et la forme française du commerce, connue de tout le
monde, puisque la seule écrite, la forme rille a représenté jusqu’à l’époque contemporaine la forme courante de la langue familière
des milieux ruraux. Elle est attestée dans cet usage depuis 1899, puisque Dottin signale
dans la Mayenne, sous l’entrée dialectale notée phonétiquement riy, la graphie rille, exemple des formes « employées par les bourgeois des campagnes » (DottinBMaine xiv).
◇◇ bibliographie. DuPineauR [1746-48] ; MoisyNormand 1887 ; VerrOnillAnjou 1908 « environs de Segré » ; LepelleyBasseNorm 1989 « Connu : Orne (ouest). Attesté : Manche (centre et sud), Orne (centre) » ; BrasseurNorm 1990 « sud de l’Orne » ; LepelleyNormandie 1993 ; FEW 10, 217a, regula.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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