reinage n. m.
〈Lozère, Haute-Loire (Velay)〉 "fête annuelle du village". Synon. région. assemblée*, ducasse*, festin*, fête votive*, frairie*, kilbe*, messti*, romérage*, vogue*, vote*.
1. – Jusqu’à présent on savait que tu voyais double après la foire du 15 Août et triple
le soir du Reinage… mais maintenant tu exagères… (Lou Païs, n° 150, décembre 1968, 219.)
2. Il parlerait des Reinages, de la pompe*, cette épaisse fougasse* brune et luisante, en boule ou en couronne, réservée aux jours de fête […]. (R. Sabatier,
Les Noisettes sauvages, 1983 [1974], 260.)
3. Des coutumes plus gaies et plus pittoresques accompagnent le reinage, ou fête locale. (Pays et gens de France, n° 22, la Haute-Loire, 18 février 1982, 12.)
4. Ce jour-là, Monedeyres fêtait son « Reinage » (la vogue*) ; quelques cabarets d’un jour s’étaient ouverts ; on buvait, on dansait, on chantait
dans les granges, filles et garçons s’en donnaient à cœur joie. (M. Barriol-Chanal,
« Souvenirs de la vie d’autrefois en massif du Meygal », Per lous chamis 42, 1983, 7.)
5. Notre reinage ou « vogue* » se passait là et non vers les manèges de Coubon qui étaient bien trop loin et où
seuls s’en allaient les garçons et les filles déjà grands (H. Verdier, « Une enfance à Taulhac au début de ce siècle », Per lous chamis 50, 1987, 87.)
— Comme terme d’histoire régionale "titre de roi ou de reine, donnant la préséance à son acquéreur lors de certaines cérémonies publiques ; adjudication
de ces titres".
6. La veille de la Saint-Jean, le fou et ses amis mettaient les reinages aux enchères. Pour être roi, il en coûtait bon : vingt francs, vingt livres de cire,
vingt litres d’huile, vingt pots de vin, trois setiers de froment. (H. Pourrat, En Auvergne, 1966 [1950], 282-283.)
■ graphie. Écrit parfois avec R- majuscule. La graphie inusuelle renage a été introduite, par erreur, dans la lexicographie par CampsLanguedOr 1991, qui
reproduit la graphie de F. Buffièrea ; reynage n’apparaît plus que comme terme d’histoire (par ex. Le Roy 333 sqq.).
a Cf. encore F. Buffière, « Ce tant rude » Gévaudan, 1985, 1555, et sa traduction de F. Remize, Contes du Gévaudan, 1966, 1, 139. Buffière n’utilise pas l’accent aigu pour noter l’occitan (cf. son
introduction aux Contes de Remize, 1, 41) : les formes qui en sont dépourvues sont donc de l’occitan en mention
et non du français. Sur le statut ambigu des citations de Buffière (et sur les transformations
qu’elle ont subies), v. Chambon RLiR 56, 586-587 (CampsLanguedOr 1991 francise subrepticement,
par exemple, coupetade en coupétade, alors qu’il s’abstient de le faire pour renage).
◆◆ commentaire. Le mot apparaît d’abord, dep. le 16e s., dans le sens d’"adjudication, notamment dans le cadre de confréries, de certains titres (roi, reine,
etc.) donnant la préséance à l’acquéreur lors de certaines cérémonies publiques", en Velay (Vals-près-Le-Puy 1506, selon Mistral ; Le Brignon 1642-1644, JournAulanier
2, 43, 44, 87), en Auvergne (Vassivières p.-ê. 1615 [reynage], Coyssard [se référant à l’an 1581], ChambonMatAuv 43 ; Gerzat 1674, Germouty 139 ;
Augerolles 1731, ChambonMatAuv 43 ; diocèse de Clermont 17e–18e s., Germouty 136 [sans citations] ; encore Saillant 1re moit. 20e s., Germouty 138 ; St-Ilpize 1706, AlmBrioude 73, 247, 250 [renage] ; Brivadois 1936, Gennep 180), en Gévaudan (Servières 1625-1627 [aussi reinaige], F. Fabre, Notes historiques sur Servières, près Saugues, rééd. 1992, 27, 28) et en Rouergue (1668 [reynage], Affre 159b) ; ce sens, qui, sauf comme terme d’histoire, ne semble plus aujourd’hui
qu’un souvenir, n’est attesté qu’en françaisa.
La pratique (et le nom ?) est connue (dep. 1498) « du Limousin au Dauphiné, en passant par l’Auvergne, l’est de la Guyenne et le nord
du Languedoc » (Le Roy 334, sans références), en tout cas aussi à Romans (1579-1580, Le Roy 333),
dans le haut Vivarais (Carlat 357), le Limousin (encore reinage, Corrèze 1898, Gennep 185), la Marche (encore reinage, Lourdoueix-Saint-Pierre 1929, Germouty 134 et n. 1), le Poitou (Saint-Paixent 1647)b et l’Agenais (Gennep 179, n. 2). Au 17e s., reinage peut être associé à fête ("fête patronale") : cf. « Fête à Goudet et reinage » (Velay 1642, JournAulanier 2, 41), dont il paraît être le synonyme dans « Fête ou reinage de Cayres » (Velay 1641, ibid. 2, 19) ; le reinage étant devenu « l’un des éléments normaux de la fête patronale » (Gennep 115), le mot a pris par synecdoque le sens de "fête patronale" (attesté de façon autonome dep. 1671, Mirefleurs [PuyD.], ChambonMatAuv 43 [aujourd’hui
en dehors de l’aire française comme de l’aire dialectale] ; Le Brignon [HLoire] 1674,
Carlat 358 ; PomierHLoire 1835 ; Velay 1879, J. Vallès, L’Enfant, éd. Le Livre de Poche, 1972, 68 ; Velay 1884, ChaurandParlers 2, 479 = DDL 22 ; haut
Vivarais 1942, Carlat 358 ; les vogues et reynages, Vivarais/Velay 1891, Carlat 358). Au plan dialectal, cette signification s’est fixée
sur une aire beaucoup plus restreinte que celle qu’on a esquissée pour le sens premier,
et qui correspond à grands traits à sa zone actuelle d’emploi en français : Haute-Loire
(sauf pointe nord-est et zone de Brioude) et moitié nord de la Lozère, avec marges
dans l’Ardèche et le Cantal (ALF 556 ; ALMC 1666, 1666* ; CamprouxEssai 1962, 747 ;
CamprouxAtlas 470 ; MarconPradelles 1987) ; cette aire, expansée par Le Puy-en-Velay
(en Lozère, reinatge est visiblement un envahisseur venu du nord), retrouve probablement le noyau géographique
de la pratique d’Ancien Régime (« l’épicentre des reynages [est] peut-être situé aux environs du Puy-en-Velay », Le Roy 334).
Aujourd’hui le sens du mot, en français et en occitan, s’est notablement laïcisé (cf. ALMC
1666*) ; dans le français du Velay, reinage est en recul devant vogue*, diffusé par Saint-Étienne (PomierHLoire 1835 donne les deux termes ; FréchetMartVelay ;
cf. ex. 4, 5)c ; dans celui du Gévaudand, le terme le plus courant semble être fête* votive. Fr. reinage/occ. reinatge est une dérivation directe sur fr. reine n. f. "femme ayant acquis un titre vénal lui donnant la préséance lors de certaines cérémonies
publiques" (attesté dep. p.-ê. 1615 [royne], Coyssard [se référant à l’an 1581], Germouty 132 ; Servières 1625-1627 [royne du reina(i)ge], F. Fabre, op. cit., 27, 28) ; Esclassan 1718, Carlat 357), le féminin fournissant le seul thème de dérivation
propice, ou sur son équivalent occ. reina inattesté dans ce sens, plutôt que sur aocc. regnatge "royaume, pays" (< regnaìre ; Ronjat 2, 186 ; FEW 10, 215a n. 2), au reste extrêmement rare (seulement 2e moit. 13e s., chez Raimon Gaucelm de Beziers, Rn), qui aurait subi secondairement l’influence
de reina ; à classer FEW 10, 211a, reginae. En faveur d’une formation en occitan, on peut relever, malgré l’absence d’attestations,
la discordance graphique, dans les deux premières attestations (Germouty 132 ; Fabre,
op. cit., 27), entre le mot de base royne et le dérivé reynage/reinaige, qui peut suggérer un phonétisme occitan dans la seconde formef.
a Les attestations dialectales – et françaises dans Sauvages 1756 – dans FEW (mdauph.
bdauph. Alès) ont le sens spécial de "royauté de la Fête des rois".
b Prieuré dépendant de Moutier d’Ahun dans la Marche (Germouty 132).
c À noter que FeliceChambonL 1983 définit le mot dialectal réinâdzé par "vogue".
d Où l’on ignore la diffusion exacte et la vitalité en français.
e V. dans ce sens CamprouxEssai, 603 ; mais pour CamprouxEssai, 739, la motivation reposerait
sur « la “reine des cieux”, la Vierge Marie, ce qui dénoterait la faveur du culte pour la Vierge Marie dans
la plus grande partie [de la Lozère] ».
f Les formes dialectales (v. notamment ALMC 1666, 1666*) ne présentent aucune trace
d’influence française.
◇◇ bibliographie. FEW 10, 215a, regnare ; ChambonMatAuv 1994, 43-44 ; CampsLanguedOr 1991 ; FréchetMartVelay 1993 ; J. Chaurand,
« La représentation d’un village vellave au xixe siècle d’après La Béate d’Aimé Giron (1884) », ChaurandParlers 2, 479 ; Carlat = M. Carlat, « Les fêtes populaires et religieuses », dans M. Carlat (dir.), L’Ardèche, 19852, 333-371 ; Gennep = A. van Gennep, Le Folklore de l’Auvergne et du Velay, 1942, 115, 179-191 ; Germouty = H. Germouty, « Les reinages dans le Massif Central », RA 57 (1943), 130-142 ; Le Roy = E. Le Roy Ladurie, Le Carnaval de Romans, 1986 (reprod. de l’éd. de 1979), 333-336.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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